Kertész Imre, Discours Nobel [2002] :
« Je me trouvais dans le couloir désert d'un immeuble administratif et j'entendais des pas résonner dans un couloir perpendiculaire, c'est tout. J'ai été pris d'une sorte d'agitation particulière, les pas venaient dans ma direction, c'étaient ceux d'une seule personne que je ne voyais pas, et brusquement, j'ai eu l'impression d'en entendre marcher des centaines de milliers, une véritable colonne dont les pas retentissaient et alors j'ai saisi la force d'attraction de ce défilé, de ces pas. Là, dans ce couloir, j'ai compris en une seule seconde l'ivresse de l'abandon de soi, le plaisir vertigineux de se fondre dans la masse, ce que Nietzsche - dans un autre contexte, certes, mais avec pertinence - nomme l'extase dionysiaque. Une force quasi physique me poussait et m'attirait dans les rangs, je sentais que je devais m'appuyer et m'aplatir contre le mur, pour ne pas céder à cette attraction. Je rends compte de cet instant intense comme je l’ai vécu ; la source d’où il avait jailli telle une vision semblait se trouver en dehors de moi et non en moi-même. »
Rappel :