vendredi 23 mai 2025

Exley (infarctus ?)

Exley, Frederick, Le dernier Stade de la soif chap. I (trad. Aronson et Schmidt) :

« J’ai peur, madame C., vraiment peur. »

« Restez tranquille. »

« Écoutez, m’exclamai-je, désormais à moitié fou de peur et énervé par ce qui me paraissait être de sa part de l’indifférence butée. Est-ce que j’ai eu… enfin, est-ce que je suis en train de faire un infarctus ou quelque chose dans le genre ? » Madame C. marqua une pause angoissante, cherchant de toute évidence les mots justes. J’avais besoin de sa réponse pour savoir quelles mesures prendre. Il est facile d’imaginer le genre de choses que je voulais dire : « Écoutez, si quelque chose devait arriver, dites à ma mère que je l’aimais, et à ma femme, eh bien, dites-lui que je l’ai aimée à ma façon : non, elle n’y croira pas. Dites-lui… dites-lui que je suis désolé. » Si la réponse de Madame C. avait été celle que j’attendais, comme ces mots auraient sonné creux et tâtonnants ! Mais Madame C., qui avait eu le temps de trouver la bonne formule, m’épargna cette humiliation ; et, à sa réponse, je me sentis idiot.

« Votre tension n’indique pas du tout un infarctus. » Elle marqua une nouvelle pause, comme à la recherche des mots adéquats. Au dernier moment, elle décida apparemment de ne pas s’embarrasser de formules, persuadée que cela ne servirait à rien avec moi. « Vous buvez trop.  »



"I’m afraid, Mrs. C.—really afraid.”

“Just lie still.”

“Look here,” I demanded, by now half crazy with fear and upset with what I interpreted as her dour indifference, “have I had—I mean, am I having some kind of attack ?”

There was an agonizing pause while Mrs. C. obviously sought the tactful words. I wanted the answer because there were loose ends yearning for connections. One can imagine the kind of thing I wanted to say: “Look, if anything should happen, tell my mother I loved her—and my wife—well, tell her that in my way I loved—no, she won’t believe that. Tell her—well, tell her I’m sorry.” Had Mrs. C.’s reply been the expected one, how feeble, how hopelessly groping, these words would have come out! But Mrs. C., who had by now found her own words, saved me the embarrassment of mine; her reply made me feel foolish.

“Your blood pressure doesn’t indicate anything like an attack.” Once again, she paused, as if trying to find the right words. At the last moment she apparently decided against tact, no doubt thinking it would be wasted on me. “You’ve been drinking too much."


mardi 20 mai 2025

Hill (unanime)

Hill (Nathan), Les Fantômes du vieux pays 9, 7 : 

"Ce calme, cette paix se sont propagés jusqu’à ceux qui hurlaient sur les flics, arrachaient des bouts de trottoir à balancer dans la vitrine de l’hôtel Conrad Hilton en un spasme de rage déchaînée, trahissant leur colère monstrueuse, et ils se retournent lorsqu’on leur met la main sur l’épaule, ils voient un regard apaisant et doux, lui-même tranquillisé par un autre derrière lui, et ainsi de suite, chacun son tour, dans une longue chaîne remontant jusqu’à Ginsberg, qui insuffle à tous la puissance de son chant.

Il a suffisamment de paix en lui pour eux tous.

Son chant se déverse en eux, déverse sa beauté, qui devient la leur, qui devient leur être. Ils font corps avec le chant. Ils font corps avec Ginsberg. Ils font corps avec les flics, avec les politiciens. Avec les snipers sur les toits, les agents des Services secrets, le maire, les journalistes et tous les ravis de la crèche hochant la tête au rythme d’une musique qu’ils ne peuvent pas entendre dans le Haymarket Bar : ils ne sont plus qu’un seul et même corps. Traversé par la même lumière.

Ainsi donc le calme se répand sur la foule en cercles concentriques à partir du poète, comme des ondulations sur un lac, comme ce haïku de Bashō qu’il aime tant : «Paix du vieil étang. Une grenouille plonge. Bruit de l’eau.» "



This calm, this peace has rippled out to the far borders. Protesters standing there lost in the crowd screaming at the cops and maybe digging up chunks of sidewalk to throw at the Conrad Hilton Hotel in a spasm of loose rage and wildness because they’re just so angry at all of it when someone touches their shoulder from behind and they turn to find these gentle soothing eyes made tranquil and serene because they themselves were touched by the person behind them, and they in turn by the person behind them, one long chain leading all the way back to Ginsberg, who’s powering this whole thing with his chanting’s great voltage.

He has enough peace for all of them.

They feel part of his song pour into them, and they feel its beauty, and then they are its beauty. They and the song are the same. They and Ginsberg are the same. They and the cops and the politicians are the same. And the snipers on the roofs and the Secret Service agents and the mayor and the newsmen and the happy people inside the Haymarket Bar bopping their heads to music they cannot hear : all of them are one. The same light threads through them all.

And thus a calm comes over the crowd in a slow circle around the poet, moving outward from him like ripples on water, like in that Bashō poem he loves so much: the ancient pond, the still night, a frog jumps in.

Kerplunk.


lundi 19 mai 2025

Hill (promo)

Hill (Nathan), Les fantômes du vieux pays V, 1 :

"On a réfléchi, lancé des pistes, et l’un de nos jeunes publicistes, tout frais diplômé de Yale, qui a toujours des idées incroyables, en a encore eu une éblouissante. Si on les invitait à venir la regarder préparer des pâtes chez elle. Excellent, non ?

— J’imagine qu’il y a une raison particulière pour les pâtes ?

— Plus populaire que la viande dans les enquêtes d’opinion. Moins clivant que le steak ou le poulet. Élevage extensif ou intensif ? Avec ou sans antibiotiques ? Avec ou sans cruauté animale ? Bio ? Casher ? Le fermier a-t-il enfilé des gants de soie pour caresser le pelage de la bête tous les soirs avant qu’elle s’endorme en lui chantant de jolies berceuses ? Aujourd’hui, commander un hamburger, c’est affirmer un choix politique. Alors que les pâtes, c’est encore à peu près neutre, pas polémique."



— We brainstormed and spitballed and one of our junior publicists, this recent Yale grad who is going places let me tell you, he has this dazzling idea. He says let’s have them watch her make pasta at home. Brilliant, right ?”

— I’m guessing there’s a special reason it was pasta.

— It focus-tests better than meat. Steak and chicken have too much baggage these days. Was it free-range? Antibiotic-free ? Cruelty-free ? Organic ? Kosher ? Did the farmer wear silken gloves to caress it to sleep every night while singing gentle lullabies ? You can’t order a fucking hamburger anymore without embracing some kind of political platform. Pasta is still pretty neutral, unobjectionable.