samedi 29 juillet 2023

Debussy (Moussorgsky)

Debussy, Monsieur Croche chap. IV, Moussorgsky : 

"Personne n’a parlé à ce qu’il y a de meilleur en nous avec un accent plus tendre et plus profond ; il est unique et le demeurera par son art sans procédés, sans formules desséchantes. Jamais une sensibilité plus raffinée ne s’est traduite par des moyens aussi simples ; cela ressemble à un art de curieux sauvage qui découvrirait la musique à chaque pas tracé par son émotion ; il n’est jamais question non plus d’une forme quelconque, ou du moins cette forme est tellement multiple qu’il est impossible de l’apparenter aux formes établies – on pourrait dire administratives : cela se tient et se compose par petites touches successives, reliées par un lien mystérieux et par un don de lumineuse clairvoyance."


vendredi 28 juillet 2023

James, Céline, Queneau (villes)

James, La Madone du futur : 

"Il est de mode chez nos écrivains, me dit-il, de donner à toutes les cités le genre féminin. C’est là une monstrueuse erreur. Florence est-elle du même sexe que Chicago ? Non ! Elle seule mérite de passer pour une femme."

"It ’s the fashion to talk of all cities as feminine,” he said, “but, as a rule, it’s a monstrous mistake. Is Florence of the same sex as New York, as Chicago ? She’s the sole true woman of them all."


Céline, Voyage au bout de la nuit : 

"Figurez-vous qu’elle était debout leur ville, absolument droite. New York c’est une ville debout. On en avait déjà vu nous des villes bien sûr, et des belles encore, et des ports et des fameux même. Mais chez nous, n’est-ce pas, elles sont couchées les villes, au bord de la mer ou sur les fleuves, elles s’allongent sur le paysage, elles attendent le voyageur, tandis que celle-là l’Américaine, elle ne se pâmait pas, non, elle se tenait bien raide, là, pas baisante du tout, raide à faire peur."


Queneau, Zazie dans le métro, VIII 

"Gabriel regarde alors la tour, attentivement, longuement, puis commente :

– Je me demande pourquoi on représente la ville de Paris comme une femme. Avec un truc comme ça. Avant que ça soit construit, peut-être. Mais maintenant. C'est comme les femmes qui deviennent des hommes à force de faire du sport. On lit ça dans les journaux."



jeudi 27 juillet 2023

Giono (lapin)

Giono, Le grand Troupeau :

"… avant, que je te dise pour le lapin. Ne fais pas de civet, le sang cuit trop, ça n'a plus de goût : voilà ce que tu fais : tu fais revenir la viande au poêlon avec des oignons et de la tomate, puis, quand c'est cuit, juste avant de servir, tu verses le sang frais là-dedans, juste avant de servir, juste avant. Le sang frais, ça t'a un goût !"



mercredi 26 juillet 2023

Kandinsky (maisons)

Kandinsky, Regards sur le passé, p. 108-109 :

"Je n’oublierai jamais les grandes maisons de bois couvertes de sculptures. Dans ces maisons magiques, j’ai vécu une chose qui ne s’est pas reproduite depuis. Elles m’apprirent à me mouvoir au sein même du tableau. Je me souviens encore qu’en entrant pour la première fois dans la salle, je restais figé sur place devant un tableau aussi inattendu. La table, les banquettes, le grand poêle, qui tient une place importante dans la maison du paysan russe, les armoires, chaque objet était peint d’ornements bariolés étalés à grands traits. Sur les murs, des images populaires : la représentation symbolique d’un héros, d’une bataille, l’illustration d’un chant populaire. Le coin rouge (rouge en vieux russe veut dire beau) entièrement recouvert d’icônes gravées et peintes, et devant, une petite lampe suspendue qui brûlait, rouge, fleur brillante, étoile consciente à la voix basse et discrète, timide, vivant en soi et pour soi, fièrement. Lorsqu’enfin j’entrais dans la pièce, je me sentis environné de tous côtés par la peinture dans laquelle j’avais donc pénétré." 



mardi 25 juillet 2023

Céline (ondes)

Céline, Nord Pléiade p. 528 : 

"Les fils électriques servent à rien, ni les pneumatiques, ni les caves chantantes, une fois que les êtres sont tout tremblants, vibratiles, parfaitement secoués par la frousse... plus besoin d'aucun appareil, ils émettent transmettent d'eux-mêmes, corps et âmes, bafouillis, hoquets, les nouvelles... vous les effleurez ? pfft !...vous en avez plein !... ça déborde, éclabousse !... vous auriez pas dû ! vous vous trouvez anéanti par ce qu'ils vous apprennent... juste de l'air du temps, le vrai, le faux…"


Céline, D'un Château l'autre, Pléiade p. 128 : 

"Ce qu'est beau dans le monde animal, c'est qu'ils savent sans se dire, tout et tout ! ... et de très loin ! à vitesse-lumière !... nous avec la tête pleine de mots, effrayant le mal qu'on se donne pour s'emberlifiquer en pire ! plus rien savoir ! ... tout barafouiller, rien saisir !... si on se l'agite ! la grosse nénette !... dégueule ! ... peut plus !... plus rien passe !... pas un milli d'onde !... tout nous frise !... file !…"


Céline, Féerie 1 Folio p. 59 : 

[son gardien danois semble l'injurier] 

"Oh ! pour les idiomes étrangers, c'est l'intonation qui compte ! l'homme à un moment de la misère il s'en fout de comprendre... tout y arrive au cœur, droit ! nature ! ... injures, mensonges, gentillesses... le sens animal... le flan des mots tombe."



lundi 24 juillet 2023

Romains (épiphanie 2/2)

Romains, Les Hommes de bonne volonté t. 4 [suite] p. 115 : 

"Mais il se dégage un sentiment encore plus subtil, qui enveloppe en outre un conseil ; comme une recette magique, écrite sur un bout de papier plié qu'on vous glisserait dans la main :

 Vous êtes présent à quelque chose de révolu. Ce qui est présent est aussi révolu, tout entier, en un sens et quelque part. Dès que vous le savez. vous ne souffrez plus, ni pour lui, ni pour vous à cause de lui ; vous ne vous inquiétez plus. Aucune angoisse pour ce qui va suivre. L'avenir n'est effrayant, ne gâche le présent de son ombre, ne lui fait peur avec ses terribles ailes de vautour, qu’autant que le présent n'est pas allé chercher refuge dans le temps révolu. Une fois blotti là, il est invulnérable.

Vous ne pouvez pas obliger ces gens qui passent à le savoir, à se vivre eux-mêmes comme si tout cela était révolu et tranquille. Mais vous, vous êtes un passant d'une autre espèce, tombé d'un autre monde, et qui avez gardé autour de vous, comme une enveloppe respirable, le temps de cet autre monde. Vous vous mêlez aux êtres et aux mouvements. Vous en jouissez bien mieux. Vous avez envie de souffler aux oreilles des hommes, des femmes : « Si vous saviez comme tout cela est doucement étrange et inoffensif, vu d'où je suis ! »

 Il se faisait en outre une certaine surimpression de la scène d'autrefois sur celle de maintenant. Mais cette complication n'avait pas d'importance En un sens. aucune des deux scènes n'était plus ancienne que l'autre. Toutes deux étaient plongées dans le même bain de passé protecteur. Elles pouvaient faire des échanges."



dimanche 23 juillet 2023

Romains (épiphanie 1/2)

Romains, Les Hommes de bonne volonté t. 4 p. 114 : 

"ll avait dépassé les premiers X de fer qui bordent le pont, et il commençait à perdre espoir quand soudain il fut traversé par un événement très léger, l'équivalent d'un mouvement de brise ou d'un déplacement de brume. Avant de s'être avisé, même vaguement, du contenu de l'impression qu'il allait avoir, il comprit que c'était celle qu'il cherchait, et dans le même instant aussi, il eut une trace de déception : « Alors, ce n'était que cela ? » 

La scène se détachait de lui ; la scène, c'est-à-dire les choses autour de lui, le monde actuel à l'endroit où il touchait à lui, Laulerque. Un abîme s'élargissait, mais d'une espèce très particulière, qui ne diminuait pas les dimensions des choses, qui ne les noyait pas dans le lointain du crépuscule. Au contraire, tout devenait d'une précision et d'un intérêt étonnants. Pas un détail n'était douteux, ni superflu. Une perfection. Comme un tableau de musée sous verre ; comme une salle de reconstitution historique dans un musée ; vous la regardez de tout près, bien à votre aise, sans rien perdre, ni une fleur du tapis, ni l'aiguille d'or sur le cadran de la pendule ; mais il y a entre cet ensemble et vous un cordon de velours, que vous ne demandez pas à franchir. Il vous sépare. Il y a d'un côté des choses, totalement révolues, qui même si elles bougent, bougent à l'intérieur d'un passé définitivement clos ; et de l'autre côté, vous, témoin, situé dans un autre temps."

[à suivre]