Fante (John) : Les péchés de ma mère :
Giovanni eut envie de parler de la Sicile. Signor Brancato connaissait-il sa ville natale, Palerme ?
«Soldat, j’ai passé trois mois à Palerme. L’une des plus belles villes d’Europe. »
Et voilà la clef de l’âme de Papa Martino. Brusquement, le jeune camionneur fatigué devint un ami. Les mains toutes tremblantes, Papa lui montra un fauteuil et le poussa presque dedans. Brancato adressa un regard suppliant à Carlotta. Elle eut un sourire de sympathie.
La voix de Papa se mit à chevroter. Il y avait une petite ferme, dit-il en italien, à cinq kilomètres à l’est de Palerme, sur la Via Sardinia. Cette maison était en pierre rose, avec un toit incliné en tuiles rouges. Est-ce que par hasard le jeune homme l’aurait vue ? Brancato fronça les sourcils, observa le visage de Giovanni.
«Je suis allé là-bas, monsieur, dit Brancato. Cette maison se dresse sur une colline, au-dessus d’un verger de citronniers. Nous nous y arrêtions souvent pour acheter des figues et du vin. Un très bon vin, Signor. De l’angelica et du porto. »
L’espace d’un instant, on aurait cru que Giovanni allait pleurer. Il fixa les yeux de Gino Brancato avec un air d’adoration, se retenant visiblement de serrer le jeune homme entre ses bras. À la place, il saisit la main de Gino et en observa les grosses articulations, les doigts épais. Puis il ouvrit doucement cette main et sourit en découvrant la paume musclée. Ensuite il la referma tout aussi doucement, comme on referme une boîte à bijoux.
Dès cet instant, Giovanni Martino eut envie de faire de Gino Brancato son fils. Brancato avait bu le vin de sa propre jeunesse et savouré les figues de sa propre jeunesse.
— Il y a longtemps, peut-être trente-cinq ans, j’étais comme Gino. Fort. Avec un grand rêve. »
Et soudain il fondit en larmes.