samedi 2 octobre 2021

Jonquet (hosto)


Jonquet, Le Bal des débris :

"Il traîne une sale odeur, mon hosto. Une odeur de pourriture, d’oubli, de boue, et de pisse. Une odeur de pus qui suinte des escarres en technicolor, à ciel ouvert, d’où pointe l’os à nu.

Une odeur de dégueulis, de peur, de foutez-moi la paix et de laissez-moi crever peinard ! Une odeur de j’en peux plus, coupez-moi les jambes, coupez-moi les couilles, mais laissez-moi croire à mes souvenirs.

Une odeur de bassin pas vidé depuis trois jours, de draps où j’ai renversé ma soupe, une odeur de pourquoi mon dentier traîne par terre ?

Une odeur d’excusez-moi, j’ai encore chié au lit, mais pardon, mon cul ne veut plus m’obéir…

Et cette odeur-là, les murs de l’hosto en sont barbouillés, imprégnés, imbibés. On peut laver, javelliser, il n’y a rien à faire. Coucou me revoilà, c’est moi la puanteur, je reviens te chatouiller les narines, tu as essayé de me chasser, mais je te colle à la peau. L’odeur de l’hosto. Pas de l’hôpital, de l’hosto. De l’hosto à vieux. De la décharge à vieux." 

vendredi 1 octobre 2021

Muray (littérature)

Muray, Ultima necat t. 1 p. 547

"8 avril. Écrire, c'est se susciter un partenaire. La plupart des textes ne deviennent pas de la littérature parce qu'ils demeurent dans la solitude du monologue. Parce qu'on sent qu'aucune figure n'est née au fur et à mesure que les phrases montaient. Écrire, c'est savoir s'inventer un interlocuteur. Incarner quelqu'un. A chaque mouvement oratoire, chaque "période", on doit sentir qu'il existe quelqu'un à qui tu parles. Écrire ce n'est, automatiquement, jamais que dialoguer. Théâtre et comédie, et scène de comédie. Se susciter une partenaire, se fabriquer une femme dont on se fait désirer, qu'on essaie de séduire en la provoquant, flattant, faisant rire. Toute la littérature danse érotique infinie."


mercredi 29 septembre 2021

Amiel (hile)

 Amiel, Journal 10 août 1865 (Philine p. 174) : 

"Chacun de nous porte à l'état de cicatrice la marque du point par là où il tenait à la terre. C'est le hile* secret de ces graines ailées que nous sommes. C'est par là que nous avons bu les premières sèves de l'existence ; et ces premières influences sont indélébiles. Quelques renouvellements et transformations que nous ayons traversés depuis, notre germe, notre état primitif, notre fond se retrouvent en nous." 


*Hile, TLF : Cicatrice d'une graine qui correspond à son point d'attache au funicule.

Picasso (recherche en art)

Picasso, cité par Pierre Daix, La Vie de peintre de Pablo Picasso p. 192-193, cité par G. Latour, Guernica histoire secrète d'un tableau :

"J’ai du mal à comprendre l’importance donnée au mot recherche quand il s’agit de la peinture moderne. Selon moi, chercher n’a aucun sens en peinture. L’essentiel est de trouver […], quand je peins, mon but est de montrer ce que j’ai trouvé et non pas ce que je suis en train de chercher. En art, les intentions ne suffisent pas […], l’idée de recherche est la source de multiples égarements, elle a poussé l’artiste à des élucubrations purement mentales. Peut-être est-ce la principale erreur de l’art moderne. […] Pour moi il n’y a ni passé, ni futur dans l’art. Si une oeuvre d’art ne peut toujours rester dans le présent, elle n’a aucune signification. L’art des Grecs, des Égyptiens, des grands peintres ayant vécu à d’autres époques n’est pas un art du passé ; peut-être est-il plus vivant qu’il ne l’a jamais été […]. Le cubisme n’est pas une semence ni un foetus, mais un art qui traite essentiellement des formes, et quand une forme est réalisée, elle doit vivre sa propre vie […] Si le cubisme est un art de transition, je suis sûr que la seule chose qui doive en sortir est une autre forme de cubisme […]. Le cubisme s’est maintenu dans les limites et les limitations de la peinture. Il n’a jamais prétendu aller au-delà. Le dessin, la composition, la couleur, sont compris et pratiqués par le cubisme dans l’esprit où ils sont compris et pratiqués par les autres écoles. Nos sujets peuvent être différents, de même que nous avons introduit dans la peinture des objets et des formes qui étaient ignorés auparavant. Nous avons gardé les yeux et l’esprit ouverts sur ce qui nous entourait. Nous donnons à la forme et à la couleur toute leur signification individuelle, pour autant que nous puissions la voir."


mardi 28 septembre 2021

Leys (démocratie)

Leys Simon, Le studio de l'inutilité § 'Pour prendre congé - l'Université' : 

"Le caractère élitiste de la tour d’ivoire – qui dérive de sa nature même – se trouve dénoncé au nom des principes d’égalité et de démocratie. Mais, si l’exigence d’égalité est une noble aspiration dans sa sphère propre – qui est celle de la justice sociale –, l’égalitarisme devient néfaste dans l’ordre de l’esprit, où il n’a aucune place. La démocratie est le seul système politique acceptable, mais précisément elle n’a d’application qu’en politique. Hors de son domaine propre, elle est synonyme de mort : car la vérité n’est pas démocratique, ni l’intelligence, ni la beauté, ni l’amour – ni la grâce de Dieu. [...] Une éducation vraiment démocratique est une éducation qui forme des hommes capables de défendre et de maintenir la démocratie en politique ; mais, dans son ordre à elle, qui est celui de la culture, elle est implacablement aristocratique et élitiste."


lundi 27 septembre 2021

Valéry (Ingres)

Valéry, Degas, Danse, dessin Pléiade t. 2 p. 1198 : 

"Le fusain de Monsieur Ingres poursuit la grâce jusqu’au monstre : jamais assez souple et longue l’échine, ni le col assez flexible, et les cuisses assez lisses, et toutes les courbes des corps assez conductrices du regard qui les enveloppe et les touche plus qu’il ne les voit. L’Odalisque tient du plésiosaure, donne à rêver de ce qu’une sélection bien dirigée eût fait d’une race de femmes spécialisée depuis des siècles dans le plaisir, comme le cheval anglais l’est dans la course".


dimanche 26 septembre 2021

Woolf (dîner)

Woolf, Un lieu à soi, ch. 1 (trad. Darrieussecq) :

"La constitution humaine étant ce qu’elle est, cœur, corps et cerveau tout mélangés, et non séparés dans des compartiments comme ils le seront sans aucun doute dans un million d’années, un bon dîner est de grande importance pour une bonne conversation. On ne peut ni bien penser, ni bien aimer, ni bien dormir, si on n’a pas bien dîné."


Woolf, Une chambre à soi ch. 1 (trad Clara Malraux) : 

"La structure humaine étant ce qu’elle est, cœur, corps et cerveau mêlés les uns aux autres et non pas disposés dans des compartiments séparés, comme il en sera sans doute d’ici un million d’années, un bon dîner est d’une grande importance pour une bonne conversation. On ne peut ni bien penser, ni bien aimer, ni bien dormir, si on n’a pas bien dîné."


Woolf, A Room of One’s Own (ch. 1) :

The human frame being what it is, heart, body, and brain all mixed together, and not contained in separate compartments as they will be no doubt in another million years, a good dinner is of great importance to good talk. One cannot think well, love well, sleep well, if one has not dined well.”


[Les deux traductions me semblent de (bonne) qualité équivalente, pour un texte sans problème particulier. Toutefois (pinaillage), "to good talk" me semblerait un peu mieux rendu par "la bonne conversation", plus général]