samedi 4 septembre 2021

Flaubert (misanthropie)

... une sélection de passages de la correspondance de Flaubert, dont je ne sais plus si je l'ai constituée moi-même, ou si je l'ai recopiée quelque part... Plus probablement recopiée, car aucune référence n'est indiquée.


"C'est le plus grand supplice que l'on puisse endurer que de vivre avec des gens qu'on n'aime pas. J'ai connu peu d'êtres dont la société ne m'ait inspiré l'envie d'habiter le désert."


"J'ai été à Rouen, au concert. Le plaisir d'entendre de fort belle musique bien jouée a été compensé par la vue des gens qui le partageaient avec moi."


"Il faut que j'aille à Rouen pour un enterrement ; quelle corvée ! Ce n'est pas l'enterrement qui m'attriste, mais la vue de tous les bourgeois qui y seront. La contemplation de la plupart de mes semblables me devient de plus en plus odieuse, nerveusement parlant."


"Mais quant à faire partie effectivement de quoi que ce soit en ce bas monde, non! non! et mille fois non! Je ne veux pas plus être membre d'une revue, d'un cercle ou d'une académie, que je ne veux être conseiller municipal ou officier de la garde nationale."


"Ce n'est pas parce qu'un imbécile a deux pieds comme moi, au lieu d'en avoir quatre comme un âne, que je me crois obligé de l'aimer, ou tout au moins de dire que je l'aime, et qu'il m'intéresse."


"Je me sens maintenant pour mes semblables une haine sereine, ou une pitié tellement inactive que c'est tout comme. L'état politique des choses a confirmé mes vieilles théories a priori sur le bipède sans plumes, que j'estime être tout ensemble un dinde et un vautour".


"On ne peut causer qu'avec très peu de monde. Le nombre des imbéciles me paraît, à moi, augmenter de jour en jour. Presque tous les gens qu'on connaît sont intolérables de lourdeur et d'ignorance. On va et revient du mastoc au futile."


"L'idée seule de mes contemporains me fatigue."


"Je me retire de plus en plus dans mon trou, pour n'avoir rien de commun avec mes semblables - lesquels ne sont pas mes semblables."


"Est-ce moi qui deviens insociable ou les autres qui bêtifient? Je n'en sais rien. Mais la société "du monde" actuellement, m'est intolérable !"


"C'est là ce qu'il me faut: l'écartement de toute manifestation extérieure; Et j'ose dire de toute relation humaine."


"L'insupportabilité de la sottise humaine est devenue chez moi une maladie et le mot est faible. Presque tous les humains ont le don de m'exaspérer et je ne respire librement que dans le désert."


"Moi, de jour en jour, je sens s'opérer dans mon cœur un écartement de mes semblables qui va s'élargissant et j'en suis content, car ma faculté d'appréhension à l'endroit de ce qui m'est sympathique va s'élargissant, et à cause de cet écartement même."


"Je ne suis pas sociable, définitivement. La vue de mes semblables m'alanguit. Cela est très exact et littéral."


"Nous dansons non pas sur un volcan, mais sur la planche d'une latrine qui m'a l'air passablement pourrie. La société prochainement ira se noyer dans la merde de dix-neuf siècles, et l'on gueulera raide."


"Je suis, plus que jamais, irascible, intolérant, insociable, exagéré, Saint Polycarpien***. Ce n'est pas à mon âge qu'on se corrige !"


*** Saint Polycarpe, patron des silencieux, selon Flaubert


vendredi 3 septembre 2021

Wodehouse (Keats)

 Ce poème de Keats, que j'ai naguère traduit :

http://lecalmeblog.blogspot.com/2020/06/keats-sur-lhomere-de-chapman-traduction.html

j’ai eu plaisir à le retrouver ainsi, chez Wodehouse :

(rappel : Jeeves est le parfait butler, qui sait tout faire et qui, en plus, sait tout, ce qui fait contraste avec son 'maître')


"— Jeeves [...] qui était ce type qui, en regardant quelque chose, ressentait quelque chose comme quelqu’un qui regarde quelque chose ? J’ai appris ce passage au collège mais il m’a échappé.
— J’imagine que la personne que Monsieur a dans l’esprit est le poète Keats, qui compara son émoi à la première lecture de l’Homère de Chapman, à celui du courageux Cortez quand, avec ses yeux d’aigle, il regardait le Pacifique.
— Le Pacifique, eh ?
— Oui, Monsieur. Et tous ses hommes se regardaient dans une effroyable et silencieuse incertitude.
— Naturellement, tout me revient maintenant. Eh bien ! c’est ça que j’ai ressenti cet après-midi quand j’ai été présenté à Miss Pauline Stoker. Repassez mes pantalons avec un soin tout spécial ce soir, car je dîne avec elle."

Wodehouse, Thank You, Jeeves, chap. 1 :
"Jeeves [...] who was the fellow who on looking at something felt like somebody looking at something ? I learned the passage at school, but it has escaped me."
    "I fancy the individual you have in mind, sir, is the poet Keats, who compared his emotions on first reading Chapman's Homer to those of stout Cortez when with eagle eyes he stared at the Pacific."
    " The Pacific, eh ?"
    "   Yes, sir. And all his men looked at each other with a wild surmise, silent upon a peak in Darien."
    "Of course. It all comes back to me. Well, that's how I felt this afternoon on being introduced to Miss Pauline Stoker. Press the trousers with special care to-night, Jeeves. I am dining with her."


jeudi 2 septembre 2021

Encyclopédie (personne)

Diderot et d’Alembert, Encyclopédie, ou Dictionnaire Raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers, § 'Personne', Tome XII, p 431 :

"Le mot latin persona signifie proprement le masque que prenoit un acteur, selon le rôle dont il étoit charge dans une piece de theatre; & ce nom est dérive de sonare, rendre du son, & de la particule ampliative per, d’où personare, rendre un son éclatant:  Bassius, dans Aulu-Gelle, nous apprend que le masque étoit construit de maniere que toute la téte en étoit enveloppée, & qu’il n’y avoit d’ouverture que celle qui étoit nécessaire à l’émission de la voix ; qu’en conséquence tout l’effort de l’organe se portant vers cette issue, les sons en étoient plus clairs & plus résonnans: ainsi l’on peut dire que sans masque, vox sonabat, mais qu’avec le masque, vox personabat ; & de-là le nom de persona donné à l’instrument qui facilitoit le retentissement de la voix, & qui n’avoit peut-être été inventé qu’à cette fin, à cause de la vaste étendue des lieux où l’on representoit les pieces dramatiques. Le même nom de persona fut employé ensuite pour exprimer le rôle même dont l’acteur étoit chargé ; & c’est une métonymie du signe pour la chose signifiée, parce que la face du masque étoit adaptée à l’âge & au caractere de celui qui étoit censé parler, & que quelquefois c’étoit son portrait même : ainsi le masque étoit un signe non-équivoque du rôle."


mercredi 1 septembre 2021

Valdès (danse)

Valdés, Zoé, La douleur du dollar trad. Hasson, chap. 2 :

"Le plafond tournoyait et tournoyait… les lumières aussi, les murs, on aurait dit de brillants miroirs versaillais argentés ou dorés. En tout cas, ils lançaient des reflets comme dans un labyrinthe de glaces. Les projecteurs semblaient des milliers d’étoiles filantes, à vitesse inouïe, et elle fit d’innombrables vœux. Dont très peu allaient se réaliser. Elle demanda que sa maman et son papa se réconcilient, elle pria pour qu’ils puissent habiter tous ensemble à La Havane ou à Santa Clara, réunis sous le même toit, comme une famille normale. Elle récita dix Credo pour que sa mère renonce au théâtre, pour que son père trouve un emploi mieux rétribué. Elle souhaita que son frère ne soit plus asthmatique ni pédé, que son autre frère atteint de la poliomyélite retrouve la mobilité de sa jambe infirme, que sa sœur se remette de son opération d’un kyste au cerveau, que sa marraine soit soulagée de ses abcès dentaires, que le mulâtre café au lait s’amende et fiche la paix à son frère. Elle supplia pour que cet homme, avec qui elle dansait, joue contre joue, reste ainsi à jamais."


El techo daba vueltas y vueltas y vueltas... las luces con él, las paredes parecieron brillantes espejos versallescos, como plateadas, o doradas. En todo caso, ellas se reflejaban como en un laberinto encristalado. Los reflectores daban la sensación de estrellas cayendo a mil, a velocidad incalculable, pidió innumerables deseos. De los cuales, muy pocos irían a cumplirse. Pidió que su mamá y su papá volvieran a juntarse, rogó porque todos pudieran vivir en La Habana o en Santa Clara, pero juntos en una misma casa, como una familia normal. Rezó diez credos para que su madre dejara el teatro, para que su padre consiguiera un trabajo mejor remunerado. Deseó que a su hermano se le quitara el asma y la mariconería, que el otro hermano poliomielítico recuperara la movilidad de la pierna enferma, que su hermana saliera bien de la operación de un quiste en el cerebro, que a su madrina se le aliviaran los flemones de las muelas, que el mulato blanconazo se redimiera y dejara en paz a su hermano. Rogó que ese hombre, con el que ahora bailaba, mejilla con mejilla, no escapara nunca de esa posición.

mardi 31 août 2021

Amiel (virtualités)

Amiel, Journal intime, 13 mai 1872 : 

"Toute âme possède à l'état indiscernable l'ébauche ou la possibilité de tous les états humains. Avec un peu d'attention et de finesse elle peut donc faire écho à tout, et retrouver, en linéaments furtifs, ou du moins en virtualités dormantes les joies et les douleurs, les maladies, les vertus et les vices, les facultés et les décadences que la réalité nous montre en grand et en foule autour de nous."



lundi 30 août 2021

Hegel (cathédrales)

Hegel, Esthétique, III, 90 : 

"Quand on entre dans l'intérieur d'une cathédrale du Moyen Âge, cette vue fait moins songer à la solidité des piliers qui supportent l'édifice, leur rapport mécanique avec la voûte qui repose sur eux, qu'aux sombres arcades d'une forêt dont les arbres rapprochés entrelacent leurs rameaux. Une traverse a besoin d'un point d'appui solide et d'une direction à angle droit. Mais, dans l'architecture gothique, les murs s'élèvent d'eux-mêmes librement ; il en est de même des piliers qui en s'élevant se déploient dans divers sens, et se rencontrent comme accidentellement. En d'autres termes, leur destination, de supporter la voûte qui, en effet, s'appuie sur eux, n'est pas expressément manifestée et représentée en soi. On dirait qu'ils ne supportent rien ; de même que, dans l'arbre, les branches ne paraissent pas supportées par le tronc, mais, dans leur forme de légère courbure, semblent une continuation de la tige et forment, avec les rameaux d'un autre arbre, une voûte de feuillage. Une pareille voûte, qui jette l'âme dans le recueillement, cette mystérieuse horreur des bois qui porte à la méditation, la cathédrale les reproduit par ses sombres murailles, et, au-dessous, par la forêt de piliers et de colonnettes qui se déploient librement et se rejoignent au sommet. Cependant, on ne doit pas, pour cela, dire que l'architecture gothique a pris les arbres et les forêts pour premier modèle de ses formes."


b. Die Gestalt des Inneren und Äußeren

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Betritt man das Innere eines mittelalterlichen Domes, so wird man weniger an die Festigkeit und mechanische Zweckmäßigkeit tragender Pfeiler und eines darauf ruhenden Gewölbes als an die Wölbungen eines Waldes erinnert, dessen Baumreihen ihre Zweige zueinander neigen und zusammenschießen. Ein Querbalken bedarf eines festen Stützpunktes und der waagerechten Lage; im Gotischen aber steigen die Wände selbstständig und frei empor, ebenso die Pfeiler, die sich dann oben nach mehreren Richtungen auseinanderbreiten und wie zufällig zusammentreffen; d. h. die Bestimmung, das Gewölbe zu tragen, ist, obschon dasselbe in der Tat auf den Pfeilern ruht, nicht ausdrücklich hervorgehoben und für sich hingestellt. Es ist, als trügen sie nicht, wie an dem Baume die Äste nicht als vom Stamm getragen, sondern in ihrer Form mehr in leichter Krümmung als eine Fortsetzung des Stammes erscheinen und mit den Zweigen anderer Bäume ein Laubdach bilden. Solches Gewölbe, das für die Innerlichkeit bestimmt ist, dies Schauerliche, das zur Betrachtung einlädt, stellt der Dom dar, insofern die Wände und darunter der Wald von Pfeilern frei in der Spitze zusammenkommen. Doch soll damit nicht gesagt sein, dass die gotische Architektur sich Bäume und Wälder zum wirklichen Vorbild ihrer Formen genommen habe.

dimanche 29 août 2021

Rilke (musées)

Rilke, Lettre à la baronne Elisabeth Schenck zu Schweinsberg, 4 nov 1909, Paris, Seuil, Correspondance p. 147-148 :

"N'y a-t-il pas en [l'amour pour l'humanité entière] un principe dissolvant qui retire à nombre d'énergies dévouées leurs points d'attaque naturels ? Cela me fait le même effet, voyez-vous, que de savoir aujourd'hui toutes les plus grandes œuvres d'art dans des musées, n'appartenant plus à personne. On dit sans doute qu'ainsi elles appartiennent à tout le monde. Mais je ne puis absolument pas me faire à cette généralité ; je n'arrive pas à y croire. Tout ce qu'il y a de plus précieux doit-il vraiment aboutir ainsi à la généralité ? Je ne puis m'empêcher de penser que c'est comme si on laissait un flacon d'essence de rose ouvert en plein air : sans doute sa force serait-elle encore là dans l'espace aérien, mais si éparse, si diluée que le plus doux parfum ne pourrait qu'être perdu pour nos sens."