Woolf, Au Hasard des rues, une aventure londonienne (1930) traduction Marie-José Tramuta et Toby Gemperle Gilbert :
"Quand elle s'est attachée à son plus grand chef-d'œuvre, la création de l'être humain, [la nature] aurait dû ne penser qu'à une seule chose. Au lieu de quoi, tournant la tête et regardant par-dessus son épaule, elle a laissé s'insinuer en chacun d'entre nous des instincts et des désirs qui sont en total désaccord avec notre être essentiel, et nous nous trouvons zébrés, bigarrés, tout mélangés ; les couleurs ont coulé. Mon vrai moi est-il celui qui se trouve sur la chaussée en janvier, ou celui qui se penche au balcon en juin ? Suis-je ici ou suis-je là ? Ou est-ce que le vrai moi n'est ni ceci ni cela, ni ici ni là-bas, mais quelque chose de si varié et de si fluctuant que c'est seulement lorsque nous donnons libre cours à ses désirs et le laissons faire sans entraves, à sa guise, que nous sommes vraiment nous-mêmes ? Les circonstances requièrent l'unité ; par commodité, l'homme doit être entier. En rentrant le soir, quand il ouvre sa porte, le bon citoyen doit être banquier, golfeur, époux, père ; et non un nomade qui erre dans le désert, un mystique contemplant le ciel, un débauché dans les bas-fonds de San Francisco, un soldat à la tête d'une révolution, un paria, hurlant de solitude et de doute. En ouvrant sa porte, il doit passer ses doigts dans ses cheveux et ranger son parapluie dans le porte-parapluie, comme tout le monde."
Street Haunting : A London Adventure
When she set about her chief masterpiece, the making of man, she should have thought of one thing only. Instead, turning her head, looking over her shoulder, into each one of us she let creep instincts and desires which are utterly at variance with his main being, so that we are streaked, variegated, all of a mixture; the colours have run. Is the true self this which stands on the pavement in January, or that which bends over the balcony in June ? Am I here, or am I there? Or is the true self neither this nor that, neither here nor there, but something so varied and wandering that it is only when we give the rein to its wishes and let it take its way unimpeded that we are indeed ourselves ? Circumstances compel unity; for convenience sake a man must be a whole. The good citizen when he opens his door in the evening must be banker, golfer, husband, father; not a nomad wandering the desert, a mystic staring at the sky, a debauchee in the slums of San Francisco, a soldier heading a revolution, a pariah howling with scepticism and solitude. When he opens his door, he must run his fingers through his hair and put his umbrella in the stand like the rest.