mercredi 29 janvier 2025

Sterne (traversée)

Sterne, Tristram Skandy, [livre VII chap.III] trad. Frenais (1777) :

« — « Dites-moi, capitaine, lui dis-je en entrant dans la cabine, est-il jamais arrivé à quelqu’un de mourir dans votre paquebot ? » — »

« Bon ! répliqua-t-il, on n’a seulement pas le temps d’y être malade. » —

« Chien de menteur ! m’écriai-je, je suis déjà malade comme un cheval. — Qu’est-ce ceci ? Aye ! — aye ! — tous mes vaisseaux sont rompus ; — le sang, la lymphe, le fluide nerveux, les sels fixes et volatils, tout est confondu pêle-mêle. — Bon Dieu ! — tout tourne autour de moi comme cent mille tourbillons, — Je ne sais plus ce que je veux dire.

» Aye, — aye, — aye, — aye ! — Capitaine, quand serons-nous à terre ? — Ces marins ont des cœurs de roche. — Oh ! je suis bien malade. — Garçon, apporte-moi de l’eau chaude. — Madame, comment vous trouvez-vous ? — Mal, monsieur, très-mal. — Oh ! très-mal. — Je suis, — je suis morte. — Est-ce la première fois ? Non, monsieur, c’est la seconde, la troisième, la sixième, la dixième. — Diable ! — Oh ! oh ! quel tapage sur notre tête ! Holà ! garçon, qu’est-ce qui arrive ? » —

« Le vent ne cesse de tourner. — La mer est grosse. — Est-ce la mort ? eh bien ! je verrai comme elle est faite. — Eh bien ! garçon ? » —

« Quel bonheur ! le vent tourne encore. Nous voilà dans le port. — Oh ! le diable te tourne ! » —

« Capitaine, dit la dame, pour l’amour de Dieu ! que je descende la première.  »


suggestion : comparer avec la traversée de la Manche dans Mort à crédit, "ancienne" Pléiade p. 623



Pray, captain, quoth I, as I was going down into the cabin, is a man never overtaken by Death in this passage?

Why, there is not time for a man to be sick in it, replied he--What a cursed lyar! for I am sick as a horse, quoth I, already--what a brain!--upside down!--hey-day! the cells are broke loose one into another, and the blood, and the lymph, and the nervous juices, with the fix'd and volatile salts, are all jumbled into one mass--good G..! every thing turns round in it like a thousand whirlpools--I'd give a shilling to know if I shan't write the clearer for it--

Sick! sick! sick! sick--!

--When shall we get to land? captain--they have hearts like stones--O

I am deadly sick!--reach me that thing, boy--'tis the most discomfiting sickness--I wish I was at the bottom--Madam! how is it with you? Undone! undone! un...--O! undone! sir--What the first time?--No, 'tis the second, third, sixth, tenth time, sir,--hey-day!--what a trampling over head!--hollo! cabin boy! what's the matter?

The wind chopp'd about! s'Death--then I shall meet him full in the face.What luck!--'tis chopp'd about again, master--O the devil chop it--

Captain, quoth she, for heaven's sake, let us get ashore.




mardi 28 janvier 2025

Goncourt (déprime)

Goncourt, Journal, août 1855 :

"Nous sommes retombés dans l’ennui, de toute la hauteur du plaisir. Nous sommes mal organisés, prompts à la satiété. Une semaine d’amour nous en dégoûte pour trois mois. Oui, nous sortons de l’amour avec un abattement de l’âme, un affadissement de tout l’être, une prostration du désir, une tristesse vague, informulée, sans bornes. Notre corps et notre esprit ont des lendemains d’un gris que je ne puis dire, et où la vie me semble plate comme un vin éventé. Après quelques entraînements et quelques ardeurs, un immense mal de cœur moral nous envahit et nous donne comme le vomissement de l’orgie de la veille. Et, repus et saouls de matière, nous nous en allons de ces lits de dentelles, comme d’un musée de préparations anatomiques, et je ne sais quels souvenirs chirurgicaux et désolés nous gardons des aimables et plaisants corps. J’en ai connu qui étaient, – les heureux garçons ! – moins analystes que nous : de grosses natures qui se grisaient régulièrement de plaisir sans effort, et que la jouissance mettait en appétit de jouir. Ils se retrouvaient, le lendemain comme la veille, dispos et gaillards, l’âme en rut : ils ignoraient ce grand vide qui se promène en vous, après les excès, ainsi qu’une carafe d’eau dans la tête d’un hydrocéphale."


lundi 27 janvier 2025

Helvétius (passions)

Helvétius, De l'Esprit (1758) Discours III, ch. VI : 

"C'est en tout genre que les passions doivent être regardées comme le germe productif de l'esprit : ce sont elles, qui, entretenant une perpétuelle fermentation dans nos idées, fécondent en nous ces mêmes idées, qui, stériles dans des âmes froides, seraient semblables à la semence jetée sur la pierre. Ce sont les passions qui, fixant fortement notre attention sur l'objet de nos désirs, nous le font considérer sous des aspects inconnus aux autres hommes, et qui font en conséquence concevoir et exécuter aux héros ces entreprises hardies qui, jusqu'à ce que la réussite en ait prouvé la sagesse, paraissent folles, et doivent réellement paraître telles à la multitude. [...] Ce sont en effet les fortes passions qui, plus éclairées que le bon sens, peuvent seules nous apprendre à distinguer l'extraordinaire de l'impossible, que les gens sensés confondent presque toujours ensemble, parce que, n'étant point animés de passions fortes, ces gens ne sont jamais que des hommes médiocres."


dimanche 26 janvier 2025

Goncourt (tous pédophiles !)

Goncourt, Journal 

cité par Roger Kempf in : 

https://books.openedition.org/septentrion/54414?lang=fr


"À force de discourir sur la femme, on finit par reconnaître qu’elle n’est peut-être pas indispensable, du moins pour le plaisir, et que, s’il n’y avait un pouvoir, une morale inspirés par les bourgeois du XIXe siècle, une autre créature, la fillette, Ève native, obtiendrait tous les suffrages. Elle seule, écrit Edmond dans Chérie, possède ce charme féminin « dont la femme faite a tant de peine à garder quelque chose ».

Entre hommes, chez Magny, ou bien en tête-à-tête, les confidences éhontées vont bon train. Gautier, le plus explicite de la bande, déclare qu’il ne peut aimer la femme qu’insexuelle, « c’est-à-dire si jeune qu’elle repousse d’elle toute idée d’enfantement, de matrice, d’obstétrique ; et il ajoute que ne pouvant satisfaire ce goût, à cause des sergents de ville, toutes les autres femmes, qu’elles aient vingt ou cinquante ans, ont pour lui le même âge ». J’étais très bien avec les d’Orléans, répète-t-il ; aujourd’hui, il faut que je le sois avec mon commissaire. Zola s’alarme de son désir de coucher avec celle qui ne serait pas encore une femme : « je vois les Assises et tout le tremblement ». Sainte-Beuve n’en pince que pour les blanchisseuses et les fillettes. Il voudrait donc moins de police dans les rues."