samedi 1 février 2025

Apollinaire (chat)

ApollinaireLe Bestiaire, ou Cortège d’Orphée, 1911 :


           Le Chat

Je souhaite dans ma maison :

Une femme ayant sa raison,

Un chat passant parmi les livres,

Des amis en toute saison

Sans lesquels je ne peux pas vivre.


Dufy (via Wikipedia)

vendredi 31 janvier 2025

Sterne ("chauds les marrons !" 2/2)

SterneTristram Shandy, traduction Frenais (1777) chap. XCVL  Extrême inquiétude :

"La châtaigne ne répandit d’abord qu’une chaleur légère.

Cette douce température fit même une sensation agréable à Phutatorius.

Mais les plaisirs passent rapidement : celui-ci ne dura que vingt-quatre ou trente secondes.

La chaleur augmentant peu-à-peu, elle ne tarda pas à passer les bornes d’un plaisir sobre, ni même à s’avancer avec assez de promptitude vers les régions de la douleur.

Le tourment de l’inquiétude, qui n’est pas moins prompt dans ses effets, se joignit aux accès de la peine, et la crise de Phutatorius devint terrible.

Son ame escortée de ses idées, de ses pensées, de son imagination, de son jugement, de sa raison, de sa mémoire, de ses fantaisies et de dix mille bataillons, peut-être, d’esprits animaux qui arrivèrent en foule et tumultueusement, par des passages et des défilés inconnus qu’ils se frayèrent, s’élança subitement sur le lieu du danger, et laissa les régions supérieures aussi vuides que la tête de nos poëtes.

Cette multitude de secours sembloit devoir lui donner quelque notion, quelque intelligence de ce qui se passoit en bas ; mais il ne fut pas capable d’en pénétrer le secret. Il ne put faire que des conjectures, et la plus raisonnable de toutes celles qu’il fit, c’est que peut-être le diable y étoit. Cette idée, quelqu’inquiétante qu’elle fût, ne l’empêcha pourtant point de se résoudre dans le moment à supporter stoïquement la situation où il se trouvoit. Un certain nombre de grimaces et de contorsions, et quelques grincemens de dents auroient fait l’affaire ; mais il auroit fallu que l’imagination fût restée neutre. Eh ! qui pourroit, en pareil cas, se flatter de gouverner ses saillies ? […] 

Mais, si c’étoit quelque lézard, quelqu’aspic, ou quelqu’autre reptile qui se fût glissé là, disoit Phutatorius en lui-même, et qu’il y essayât ses dents ? 

Cette idée affreuse eût suffi pour détraquer la machine la mieux organisée.

Mais un accès plus vif et piquant s’étant aiguisé dans ce moment même, Phutatorius fut saisi d’une terreur panique si subite, que dans la première épouvante, dans le premier désordre, il se trouva jeté soudain hors de lui-même. Sa stoïcité l’abandonna. Un tressaillement universel agita toute son existence, et ce fut dans le choc de cette commotion, qu’il articula cette interjection mêlée de peine et d’étonnement, qui fit faire tant de faux raisonnemens.....

"Zounds !…" ***


*** Juron très modéré, genre "zut !" mais impropre sous la plume du Révérend Sterne, car c'est la déformation de "wounds !" ("par les blessures du Christ !")



jeudi 30 janvier 2025

Sterne ("chauds les marrons !" 1/2)

SterneTristram Shandy, traduction Frenais (1777) chap. XCV :

"Enfin, je ne sais point ce qui imprima ce mouvement à la fatale châtaigne. Mais la châtaigne, sortie de la serviette, roula sur la table,  sans qu’on l’aperçût, et tomba…

Où ?…

 Ah ! c’est là ce que je n’ose dire. Tout ce que je puis faire, madame, c’est d’aider votre imagination.

Figurez-vous que Phutatorius, les jambes écartées, étoit précisément à table au-dessous de la ligne que la châtaigne y avoit parcourue, et qu’en tombant, elle tomba perpendiculairement…

Elle tomba, dis-je, sans obstacle, et en suivant les lois de la gravitation.

D’autres ont dit que c’étoit en suivant celles de l’attraction.

Mais, c’est ce qui m’inquiète peu. Mon embarras est de vous dire qu’elle tomba dans cette espèce de baie, que les lois du décorum* [sens latin : convenance, décence] exigent qui soit strictement fermée comme le temple de Janus, au moins en temps de paix…[…]

L’attitude de Phutatorius, sa négligence à observer un usage si familier, ouvrit la porte à cet accident. […]"




mercredi 29 janvier 2025

Sterne (traversée)

Sterne, Tristram Shandy, [livre VII chap.III] trad. Frenais (1777) :

« — « Dites-moi, capitaine, lui dis-je en entrant dans la cabine, est-il jamais arrivé à quelqu’un de mourir dans votre paquebot ? » — »

« Bon ! répliqua-t-il, on n’a seulement pas le temps d’y être malade. » —

« Chien de menteur ! m’écriai-je, je suis déjà malade comme un cheval. — Qu’est-ce ceci ? Aye ! — aye ! — tous mes vaisseaux sont rompus ; — le sang, la lymphe, le fluide nerveux, les sels fixes et volatils, tout est confondu pêle-mêle. — Bon Dieu ! — tout tourne autour de moi comme cent mille tourbillons, — Je ne sais plus ce que je veux dire.

» Aye, — aye, — aye, — aye ! — Capitaine, quand serons-nous à terre ? — Ces marins ont des cœurs de roche. — Oh ! je suis bien malade. — Garçon, apporte-moi de l’eau chaude. — Madame, comment vous trouvez-vous ? — Mal, monsieur, très-mal. — Oh ! très-mal. — Je suis, — je suis morte. — Est-ce la première fois ? Non, monsieur, c’est la seconde, la troisième, la sixième, la dixième. — Diable ! — Oh ! oh ! quel tapage sur notre tête ! Holà ! garçon, qu’est-ce qui arrive ? » —

« Le vent ne cesse de tourner. — La mer est grosse. — Est-ce la mort ? eh bien ! je verrai comme elle est faite. — Eh bien ! garçon ? » —

« Quel bonheur ! le vent tourne encore. Nous voilà dans le port. — Oh ! le diable te tourne ! » —

« Capitaine, dit la dame, pour l’amour de Dieu ! que je descende la première.  »


suggestion : comparer avec la traversée de la Manche dans Mort à crédit, "ancienne" Pléiade p. 623



Pray, captain, quoth I, as I was going down into the cabin, is a man never overtaken by Death in this passage?

Why, there is not time for a man to be sick in it, replied he--What a cursed lyar! for I am sick as a horse, quoth I, already--what a brain!--upside down!--hey-day! the cells are broke loose one into another, and the blood, and the lymph, and the nervous juices, with the fix'd and volatile salts, are all jumbled into one mass--good G..! every thing turns round in it like a thousand whirlpools--I'd give a shilling to know if I shan't write the clearer for it--

Sick! sick! sick! sick--!

--When shall we get to land? captain--they have hearts like stones--O

I am deadly sick!--reach me that thing, boy--'tis the most discomfiting sickness--I wish I was at the bottom--Madam! how is it with you? Undone! undone! un...--O! undone! sir--What the first time?--No, 'tis the second, third, sixth, tenth time, sir,--hey-day!--what a trampling over head!--hollo! cabin boy! what's the matter?

The wind chopp'd about! s'Death--then I shall meet him full in the face.What luck!--'tis chopp'd about again, master--O the devil chop it--

Captain, quoth she, for heaven's sake, let us get ashore.




mardi 28 janvier 2025

Goncourt (déprime)

Goncourt, Journal, août 1855 :

"Nous sommes retombés dans l’ennui, de toute la hauteur du plaisir. Nous sommes mal organisés, prompts à la satiété. Une semaine d’amour nous en dégoûte pour trois mois. Oui, nous sortons de l’amour avec un abattement de l’âme, un affadissement de tout l’être, une prostration du désir, une tristesse vague, informulée, sans bornes. Notre corps et notre esprit ont des lendemains d’un gris que je ne puis dire, et où la vie me semble plate comme un vin éventé. Après quelques entraînements et quelques ardeurs, un immense mal de cœur moral nous envahit et nous donne comme le vomissement de l’orgie de la veille. Et, repus et saouls de matière, nous nous en allons de ces lits de dentelles, comme d’un musée de préparations anatomiques, et je ne sais quels souvenirs chirurgicaux et désolés nous gardons des aimables et plaisants corps. J’en ai connu qui étaient, – les heureux garçons ! – moins analystes que nous : de grosses natures qui se grisaient régulièrement de plaisir sans effort, et que la jouissance mettait en appétit de jouir. Ils se retrouvaient, le lendemain comme la veille, dispos et gaillards, l’âme en rut : ils ignoraient ce grand vide qui se promène en vous, après les excès, ainsi qu’une carafe d’eau dans la tête d’un hydrocéphale."


lundi 27 janvier 2025

Helvétius (passions)

Helvétius, De l'Esprit (1758) Discours III, ch. VI : 

"C'est en tout genre que les passions doivent être regardées comme le germe productif de l'esprit : ce sont elles, qui, entretenant une perpétuelle fermentation dans nos idées, fécondent en nous ces mêmes idées, qui, stériles dans des âmes froides, seraient semblables à la semence jetée sur la pierre. Ce sont les passions qui, fixant fortement notre attention sur l'objet de nos désirs, nous le font considérer sous des aspects inconnus aux autres hommes, et qui font en conséquence concevoir et exécuter aux héros ces entreprises hardies qui, jusqu'à ce que la réussite en ait prouvé la sagesse, paraissent folles, et doivent réellement paraître telles à la multitude. [...] Ce sont en effet les fortes passions qui, plus éclairées que le bon sens, peuvent seules nous apprendre à distinguer l'extraordinaire de l'impossible, que les gens sensés confondent presque toujours ensemble, parce que, n'étant point animés de passions fortes, ces gens ne sont jamais que des hommes médiocres."


dimanche 26 janvier 2025

Goncourt (tous pédophiles !)

Goncourt, Journal 

cité par Roger Kempf in : 

https://books.openedition.org/septentrion/54414?lang=fr


"À force de discourir sur la femme, on finit par reconnaître qu’elle n’est peut-être pas indispensable, du moins pour le plaisir, et que, s’il n’y avait un pouvoir, une morale inspirés par les bourgeois du XIXe siècle, une autre créature, la fillette, Ève native, obtiendrait tous les suffrages. Elle seule, écrit Edmond dans Chérie, possède ce charme féminin « dont la femme faite a tant de peine à garder quelque chose ».

Entre hommes, chez Magny, ou bien en tête-à-tête, les confidences éhontées vont bon train. Gautier, le plus explicite de la bande, déclare qu’il ne peut aimer la femme qu’insexuelle, « c’est-à-dire si jeune qu’elle repousse d’elle toute idée d’enfantement, de matrice, d’obstétrique ; et il ajoute que ne pouvant satisfaire ce goût, à cause des sergents de ville, toutes les autres femmes, qu’elles aient vingt ou cinquante ans, ont pour lui le même âge ». J’étais très bien avec les d’Orléans, répète-t-il ; aujourd’hui, il faut que je le sois avec mon commissaire. Zola s’alarme de son désir de coucher avec celle qui ne serait pas encore une femme : « je vois les Assises et tout le tremblement ». Sainte-Beuve n’en pince que pour les blanchisseuses et les fillettes. Il voudrait donc moins de police dans les rues."