Crews, Des Mules et des hommes, trad. Garnier, I, 2, :
"Il était à un pique-nique de l'église et Frank Porter, un gars de Coffee County, a eu le malheur de lui dire qu'il avait un sacré coup de fourchette, ce qui à l'époque était considéré par tout le monde comme une insulte. Avoir un sacré coup de fourchette ça voulait dire être un goinfre. Un cochon à l'auge. Du coup, daddy a invité Frank Porter – ils étaient à l'église, ils ne pouvaient quand même pas en découdre là-bas – à le retrouver le lendemain sur une crête à chênes noirs qui séparait les comtés de Coffee et de Bacon.
Le lendemain à l'aube les deux hommes se sont opposés, daddy et celui qui l'avait insulté, au milieu d'un petit bouquet de chênes noirs qui poussaient sur un à-plat sablonneux truffé de terriers de spermophiles et de nids de serpents à sonnettes. Chacun avait amené plusieurs amis pour veiller au bon déroulement du combat, ou plutôt leurs amis avaient insisté pour venir, histoire de s'assurer qu'il n'y ait ni surins, ni pétoires ni haches qui traînent dans le secteur et risquent d'entraîner la mort de l'un ou de l'autre, ou des deux.
Ils s'y sont mis et se sont battus jusqu'à midi, là ils se sont arrêtés le temps que chacun rentre chez lui manger et se rafistoler du mieux possible, ensuite ils sont revenus et ils ont remis ça jusqu'à la tombée de la nuit. Ils ne se battaient pas tout le temps. Par consentement mutuel et par nécessité, ils faisaient des pauses pour souffler. Pendant qu'ils se reposaient, leurs amis se battaient. De l'avis de tous ceux présents, ça avait été une sacrée bonne journée. Un peu saignante, mais une bonne journée. Des années après la bagarre, dans les deux comtés, on mesurait encore le temps d'après le jour du combat."