Céline, Féerie pour une autre fois 1 :
"Ils ont tous des pensées les gens, les rencontres, les connaissances, ces temps-ci... Ça va bien faire trois ou quatre mois qu'ils ont des pensées, que je suis plus regardé par personne vraiment en face... l'effet des événements, voilà. Les êtres se comportent presque tous en même temps de la même façon... les mêmes tics... Comme les petits canards autour de leur mère, au Daumesnil, au bois de Boulogne, tous en même temps, la tête à droite !... la tête à gauche ! qu'ils soient dix ! douze... quinze !... pareils ! tous la tête à droite ! à la seconde ! Clémence Arlon me regarde de biais... c'est l'époque... Elle aurait dix... douze... quinze fils... qu'ils biaiseraient de la même façon !"
Céline, Féerie pour une autre fois 2 :
"Quand les gens me donnent plus du «docteur», que c'est plus que : monsieur... c'est qu'ils m'ont sur l'haricot !... qu'ils sont pas très loin de m'insulter... ces deux jeunes filles-là, depuis deux mois... trois mois... elles me regardaient drôle... je les croisais dans l'escalier...
– Bonjour mesdemoiselles !...
Elles passaient... je suis toujours extrêmement courtois... là, je les voyais franchement hostiles... gueules en coin... oh, pas à se gratter !... y avait eu de l'événement qu'on me boude !... Stalingrad entre autres... et d'abord !... les Russes auraient été battus elles m'auraient appelé : professeur... éminent physiothérapeute, génie, tcétéra !... y a rien dans le fond des nénettes que le contre-coup des grandes nouvelles... comment ça va pour votre bazar ?... si ça va mal vous êtes à pendre, si ça va bien on vous étreint, on se vous délecte, on vous hume, on se panouit de votre moindre oui... on vous chérit tous les organes, on vous ensirope miel d'amour, y a pas assez de douceurs de fesses, de bouches, de cœurs, d'épithètes telles rafignolées, pour ce que vous valez comme précieux, Dieu de nom de Dieu d'adorable, joyau à défaillir d'émoi que de vous voir de près... «perle des sens !»... et que de vous voir vous comporter comme un être banal ordinaire !... ah que c'est trop ! vraiment, c'est trop ! c'est indicible !... et de vous voir respirer là ! là ! l'air de tout le monde !... comme tout le monde !... et que vous vous tapez votre croissant ! que vous le craquetez ! grignotez ! et que vous sirotez votre café !... et que vous allez faire vos besoins... vos petits besoins... ah, cette simplicité sublime..."