Tchékhov, Lettre à Alexeï Sergueevitch Souvorine (Bouquins) :
"Le 30 mai 1888, Soumy
"Je vis au bord du Psel, dans les dépendances d’un vieux domaine seigneurial. J’ai loué la datcha sans l’avoir vue, au hasard, et pour le moment je n’ai pas encore eu à m’en repentir. La rivière est large, profonde, abondante en îles, poissons, écrevisses, les berges sont belles, il y a beaucoup de verdure… Mais surtout, il y a tant d’espace qu’il me semble avoir, en échange de mes cent roubles, obtenu le droit de vivre dans un espace dont on ne voit pas la fin. La nature et la vie sont conformes au cliché qui a maintenant tant vieilli et que, dans les salles de rédaction, on met au rebut : sans parler des rossignols qui chantent jour et nuit, de l’aboiement des chiens que l’on entend de loin, des vieux jardins à l’abandon, des tristes domaines très poétiques et hermétiquement clos que hantent les âmes de belles femmes, sans parler des vieux serfs-laquais qui sentent le sapin, des jeunes filles qui aspirent à tous les clichés de l’amour, j’ai même à proximité le cliché tant éculé d’un moulin à aubes (seize), avec meunier et sa fille toujours assise à la fenêtre à visiblement attendre quelque chose. Tout ce que je vois et entends maintenant, il me semble le connaître depuis la nuit des temps grâce aux contes et récits d’autrefois."