Steinbeck, Rue de la sardine, trad. Paz, chap. XIV :
"Le lever du jour est un moment magique, dans la Rue de la Sardine. Quand le soleil n'a pas encore percé l'horizon gris, la Rue paraît suspendue hors du temps, enveloppée d'une lueur d'argent. Les réverbères sont éteints, l'herbe prend des tons d'émeraude, la ferraille des conserveries prend des reflets de perle, de platine, et d'étain vieilli. Pas encore d'automobiles. Le progrès, les affaires, tout dort. Rien que le va-et-vient des vagues contre les pilotis des conserveries. C'est la paix absolue, c'est le repos, le temps lui-même s'est effacé. Les chats sortent des buissons, glissent sur terre à pas sirupeux, à la recherche des têtes de poissons. Les chiens matineux paradent majestueusement, en quête eux aussi, de leur provende. Les mouettes aux ailes déployées viennent se poser côte à côte sur les toits des conserveries, attendant leur festin d'ordures. La brise marine, venue de la Station Hopkins, porte l'aboiement des lions de mer, on dirait celui d'une meute ; l'air est frais ; derrière les maisons, dans les jardins, les taupes sortent de leurs trous, bousculent les petits monticules de terre emperlée de rosée, et ramènent des fleurs dans leurs trous. Presque personne : juste ce qu'il faut pour donner l'impression de la solitude et de l'abandon."
Note :
la traduction donne "en quête eux aussi, de leur provende" là où l'original (picking and choosing judiciously whereon to pee) dit, tout simplement et tout autrement, "sur quoi pisser". Etrange pudeur qui gomme le moment maximum du contraste entre la poésie du passage et le prosaïque de son contenu. Donc qui gomme le moment le plus significatif du texte et de son intention...
Le mot "matineux" est poétique, bien venu pour le sens, mais équivoque (le matin / le mâtin) ; mais on oublie "Silent early morning dogs". Que les chiens soient silencieux ne compte pas pour rien dans cette page "suspended out of time".
Early morning is a time of magic in Cannery Row. In the gray time after the light has come and before the sun has risen, the Row seems to hang suspended out of time in a silvery light. The street lights go out, and the weeds are a brilliant green. The corrugated iron of the canneries glows with the pearly lucency of platinum or old pewter. No automobiles are running then. The street is silent of progress and business. And the rush and drag of the waves can be heard as they splash in among the piles of the canneries. It is a time of great peace, a deserted time, a little era of rest. Cats drip over the fences and slither like syrup over the ground to look for fish heads. Silent early morning dogs parade majestically picking and choosing judiciously whereon to pee. The sea gulls come flapping in to sit on the cannery roofs to await the day of refuse. They sit on the roof peaks shoulder to shoulder. From the rocks near the Hopkins Marine Station comes the barking of sea lions like the baying of hounds. The air is cool and fresh. In the back gardens the gophers push up the morning mounds of fresh damp earth and they creep out and drag flowers into their holes. Very few people are about, just enough to make it seem more deserted than it is."