lundi 1 décembre 2025

Lichtenberg (choix d'aphorismes)

Un choix que je fais dans un choix (coll. Libertés, Pauvert). Je ne mentionne pas les (fréquentes et stupéfiantes) prémonitions.



Rien n’est plus insondable que le système des ressorts de nos actions.


Où il y a contrainte des idées, même les idées permises ne se présentent que timidement.


L’art, si bien cultivé aujourd’hui, de rendre les gens mécontents de leur sort.


Pour que la religion soit appréciée de la masse, il faut nécessairement qu’elle garde quelque chose du haut-goût de la superstition.


Rien ne contribue davantage à la sérénité de l’âme que de n’avoir aucune opinion.


Ce qui nous empêche le plus de tendre nos ressorts, c’est de voir en possession de la gloire certaines personnes dont l’indignité ne fait aucun doute pour nous.


Chez la plupart des hommes, l’incroyance en une chose est fondée sur la croyance aveugle en une autre.


L’esprit et le corps satellite, ou le corps et l’esprit satellite.


J’aurais aimé avoir Swift chez le barbier, Sterne chez le coiffeur, Newton au petit déjeuner et Hume au café.


Les Anciens nous sont certainement supérieurs [...] parce qu’ils n’imitaient pas sans cesse.


Il y a des gens qui possèdent moins du génie qu’un certain talent d’attraper au vol les désirs du siècle 


L’état de veille semble consister essentiellement dans la différence précise et conventionnelle qu’on établit entre ce qui est nous et ce qui est en dehors de nous.


On peut se demander si lorsqu’on roue un assassin, on ne tombe pas précisément dans l’erreur des enfants qui battent la chaise à laquelle ils se sont cognés.


La surface la plus passionnante de la terre, c’est, pour nous, celle du visage humain.


Faire exactement le contraire s’appelle aussi imiter, c’est même expressément imiter le contraire.


Je nomme l’ivresse un état d’exquise sensibilité où chaque impression venue de l’extérieur correspond à de nouvelles pensées inexprimables.


Cette pensée travaillait sans cesse dans sa conscience comme une horloge de mort ; dans l’agitation des affaires et de la vie quotidienne, on ne l’entendait pas, mais dans le silence de la nuit, l'âme tout entière l’écoutait.


Mettre la dernière main à son œuvre, c’est la brûler.


Sur le charme particulier que possède le papier blanc d’un livre relié. Le papier qui n’a pas encore perdu sa virginité et qui brille encore de l’éclat de l’innocence est toujours meilleur que celui dont on a fait usage.


Je suis convaincu qu’on ne s’aime pas seulement dans les autres, mais qu’on se hait en eux.


Toute sensation qui n’est pas interprétée par la raison est plus forte.


Le fait de comprendre une doctrine ne constitue pas une raison suffisante de la croire vraie.


Il est assez triste que, de nos jours, la vérité doive faire soutenir sa cause par des fictions, des romans et des fables.


Chez la plupart des gens, le scepticisme dans un domaine se fonde sur une foi aveugle dans l’autre.


dimanche 30 novembre 2025

Kemelman + Zola (préparatifs rituels)

 Kemelman, On soupçonne le Rabbin trad. Albeck, chap. 1 : 

  "Retroussant la manche gauche de sa chemise jusqu’à l’aisselle, il plaçait la petite boîte noire qui contient les Écritures contre le haut de son bras – près du cœur –, enroulait sept fois la bande au-dessous du coude, puis trois fois pour former sur la main la première lettre du Nom divin, et enfin autour du médius comme un anneau, celui de ses fiançailles spirituelles avec l’Eternel."


Zola, La Faute de l'abbé Mouret, chap. 1 :

[bien sûr, Zola est plus profus... ; il nous offre, en prime de la fiction, un petit documentaire sur la liturgie]

"La Teuse, par-dessus la chasuble, étala l’étole, le manipule, le cordon, l’aube et l’amict. Mais elle continuait à bavarder, tout en s’appliquant à mettre le manipule en croix sur l’étole, et à disposer le cordon en guirlande, de façon à tracer l’initiale révérée du saint nom de Marie. [...]

Il préparait le calice sur une petite table, un grand vieux calice d’argent doré, à pied de bronze, qu’il venait de prendre au fond d’une armoire de bois blanc, où étaient enfermés les vases et les linges sacrés, les Saintes Huiles, les Missels, les chandeliers, les croix. Il posa en travers de la coupe un purificatoire propre, mit par-dessus ce linge la patène d’argent doré, contenant une hostie, qu’il recouvrit d’une petite pale de lin. [...]

L’abbé Mouret avait pris l’amict. Il baisa la croix brodée au milieu, posa le linge un instant sur sa tête ; puis, le rabattant sur le collet de sa soutane, il croisa et attacha les cordons, le droit par-dessus le gauche. Il passa ensuite l’aube, symbole de pureté, en commençant par le bras droit. Vincent, qui s’était accroupi, tournait autour de lui, ajustant l’aube, veillant à ce qu’elle tombât également de tous les côtés, à deux doigts de terre. Ensuite, il présenta le cordon au prêtre, qui s’en ceignit fortement les reins, pour rappeler ainsi les liens dont le Sauveur fut chargé dans sa Passion. [...]

Il récitait les prières consacrées, en prenant le manipule, qu’il baisa, avant de le mettre à son bras gauche, au-dessous du coude, comme un signe indiquant le travail des bonnes œuvres, et en croisant sur sa poitrine, après l’avoir également baisée, l’étole, symbole de sa dignité et de sa puissance. [...]

Vincent emplit les burettes, des fioles de verre grossier, tandis qu’elle se hâtait de prendre un manuterge propre, dans un tiroir. L’abbé Mouret, tenant le calice de la main gauche par le nœud, les doigts de la main droite posés sur la bourse, salua profondément, sans ôter sa barrette, un Christ de bois noir pendu au-dessus du buffet."