vendredi 12 septembre 2025

Céline (malveillance)

Céline, Voyage au bout de la nuit, Pléiade p. 117-118 :

"D’après ce que je croyais discerner dans la malveillance compacte où je me débattais, une des demoiselles institutrices animait l’élément féminin de la cabale. Elle retournait au Congo, crever, du moins je l’espérais, cette garce. Elle quittait peu les officiers coloniaux aux torses moulés dans la toile éclatante et parés au surplus du serment qu’ils avaient prononcé de m’écraser ni plus ni moins qu’une infecte limace, bien avant la prochaine escale. On se demandait à la ronde si je serais aussi répugnant aplati qu’en forme. Bref, on s’amusait. Cette demoiselle attisait leur verve, appelait l’orage sur le pont de l’Amiral-Bragueton, ne voulait connaître de repos qu’après qu’on m’eût enfin ramassé pantelant, corrigé pour toujours de mon imaginaire impertinence, puni d’oser exister en somme, rageusement battu, saignant, meurtri, implorant pitié sous la botte et le poing d’un de ces gaillards dont elle brûlait d’admirer l’action musculaire, le courroux splendide. Scène de haut carnage, dont ses ovaires fripés pressentaient un réveil. Ça valait un viol par gorille. Le temps passait et il est périlleux de faire attendre longtemps les corridas. J’étais la bête. Le bord entier l’exigeait, frémissant jusqu’aux soutes."


jeudi 11 septembre 2025

Platon (société 2)

Platon, République, IX (trad. Chambry) :

"Il reste maintenant à examiner l’homme tyrannique lui-même : comment il sort de l’homme démocratique, et, quand il en est sorti, quel est son caractère et quelle est sa vie, malheureuse ou heureuse.

— Oui, dit-il, c’est bien ce qu’il faut.

— Eh bien ! repris-je, c’est à peu près de la même façon que se forme la tyrannie dans les États, c’est-à-dire de la démocratie excessive. […]

Dans les États démocratiques, il y a des hommes accoutumés, dès leur jeunesse, à se soumettre aux désirs inutiles et doux, mais funestes, que nous avons déjà appelés désirs superflus. Quand leur père nourrit en eux les désirs nécessaires et modérés, leurs semblables viennent au contraire les séduire, en les remplissant de ces désirs nouveaux. Alors, s’ils cèdent, ils passent de la démocratie à la tyrannie.

Car chez cet homme, dès qu’un seul de ces grands désirs, comme un chef de bande, a pris possession de l’âme, il attire à lui les désirs dissipés qui rôdent au-dehors, et, les ayant rassemblés, il se fortifie, jusqu’à ce qu’il engendre en lui-même la folie et devienne plein de fureur. […]

C’est ainsi que, dans l’homme démocratique, naît le tyran intérieur."


mercredi 10 septembre 2025

Platon (société 1)

Platon, République VIII (trad. Chambry) :

"Lorsque une cité démocratique, altérée de liberté, trouve de mauvais échansons qui l’enivrent outre mesure, si, en l’ivresse, elle châtie ses magistrats, et si ces magistrats n’ont plus de crédit, alors ceux qui obéissent s’accoutument à ne plus obéir, et ceux qui commandent à se mettre sur le pied de simples particuliers. Et dans une telle cité l’égalité est si absolue, qu’elle s’étend aux hommes et aux femmes, et jusqu’aux animaux. […]

Telles sont les dispositions d’esprit qui règnent dans la démocratie, dispositions charmantes, à coup sûr, et pleines de liberté, mais qui la rendent incapable de toute espèce de gouvernement. […]

De cette liberté excessive naît nécessairement dans le peuple, soit dans les particuliers, soit dans la cité entière, le plus affreux esclavage. […] Car la démocratie, dans son ivresse de liberté, ne respecte plus aucune autorité, ni celle des lois, ni celle des chefs. Quiconque veut se mettre à la tête du peuple, et qui se déclare le champion de ses intérêts, devient son idole.[…] C’est ainsi que du sein de la démocratie s’élève la tyrannie."