Nietzsche, Le gai Savoir, trad. Vialatte (1950), Idées-Gallimard, p. 10-11 :
"On travestit inconsciemment les besoins physiologiques de l'homme, on les affuble du manteau de l'objectivité, de l'idéal, de l'idée pure ; on pousse la chose si loin que c'est à faire peur ; et je me suis demandé bien souvent si la philosophie, en gros, n'a pas été jusqu'à ce jour une simple exégèse du corps, une simple méprise du corps. Derrière les plus hautes évolutions éthiques qui ont guidé jusqu'à présent l'histoire de la pensée se cachent des malentendus nés de la conformation physique, soit d'individus, soit de classes, soit enfin de races entières. Les orgueilleuses folies de la métaphysique, les réponses qu'elle donne, notamment, à la question de la valeur de la vie, peuvent toujours être considérées en première ligne comme les symptômes de certaines constitutions physiques ; et si ces belles approbations ou ces belles négations de la vie n'ont pas, scientifiquement, toutes tant qu'elles sont, le moindre atome d'importance, elles n'en fournissent que de plus précieux indices à l'historien et au psychologue, étant, comme nous disions, des symptômes du physique, de ses succès ou de ses échecs, de sa richesse, de sa puissance, de sa souveraineté dans l'histoire, ou, au contraire, de ses refoulements, de ses fatigues, de ses appauvrissements, de son pressentiment de la fin, de sa volonté de finir."