samedi 10 juillet 2021

Céline (vénérien)

 

Céline, lettre à Albert Milon, Londres mai-juin 1915, Pléiade p. 140 : 

« […] Maintenant, partie confidentielle dont tu ne parleras pas à la maison. Je vais très probablement partir dans un mois au Congo (ma main allant mieux) dans un corps expéditionnaire belgo-français en qualité de sous-lieutenant. Mais il ne faut à tout prix ne pas en parler à la maison.

Maintenant je compte sur toi pour le petit service suivant. Va 11 Square Delambre (gare Montparnasse). Demande à la concierge si Mme et Mlle Bézard sont rentrées de Suisse. Écris-moi la réponse. Mais à aucun prix ne dis qui t'envoie, et surtout n'en parle pas à la maison. Il y a eu grand drame. Mlle Gonocco qui fit notre joie a malheureusement quitté la scène aux regrets de tous. Néanmoins une rentrée de cette grande artiste universellement connue est toujours possible (ô combien !). Nous avons aussi à regretter la disparition du jeune de Cental et son charmant cousin Permancravate de Godasse. Je cherche à Londres la piste du fameux Bock - d'autant plus qu'il doit receler sa fameuse et insidieuse maîtresse Canulette. Tout cela hélas fait partie du joyeux passé. Maintenant, fini les bonnes rigolades mon vieux Milon que nous ne reverrons pas sorties de l'Enfer, instants uniques. Chantons avec Lardiller dans le fameux couvent

Sonnez cloches des cathédrales

Ébranlez-vous...**

Ton vieux copain qui regrette ces bons moments

Destouches. »


**cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%80_l%27%C3%A9tendard

vendredi 9 juillet 2021

Culioli + Lodge (communication)

 

Culioli (Antoine), Pour une linguistique de l’énonciation, Ophrys, 1990 :

”La compréhension est un cas particulier du malentendu”. 


Lodge, Un tout petit monde I, 1 trad. Couturier :

"Comprendre un message, c’est le décoder. Le langage est un code. Or, tout décodage est un nouvel encodage. Si vous me dites quelque chose, je vérifie que j’ai bien compris votre message en vous le redisant avec mes propres mots, c’est-à-dire avec des mots différents de ceux que vous avez utilisés, car si je répète exactement vos paroles vous ne saurez pas si je vous ai vraiment bien compris. En même temps, si j’utilise mes propres mots, cela implique que j’ai changé votre sens, bien que très légèrement ; et à supposer même que, vicieusement, je vous renvoie votre message mot pour mot pour vous dire que je l’ai bien compris, cela ne garantirait nullement que j’ai enregistré le même sens que vous dans ma tête, car j’apporte à ces mots une expérience différente du langage, de la littérature et de la réalité non verbale, si bien que ces mots ont pour moi un sens différent de celui que vous leur donnez. Et si vous pensez que je n’ai pas compris le sens de votre message, vous ne vous contentez pas de le répéter avec les mêmes mots, vous essayez de l’expliquer avec des mots différents, différents du moins de ceux que vous aviez utilisés à l’origine ; mais alors votre message n’est plus exactement le même que celui que vous vouliez transmettre au début. Et, de ce fait, vous n’êtes plus, en tant que sujet parlant, celui que vous étiez au début. Il s’est écoulé du temps depuis que vous avez ouvert la bouche pour parler, les molécules de votre corps ont changé, ce que vous vouliez dire a été remplacé par ce que vous avez effectivement dit, et fait maintenant partie intégrante de votre histoire personnelle que votre mémoire a enregistrée très imparfaitement. La conversation est en somme une partie de tennis qu’on joue avec une balle en pâte à modeler qui prend une forme nouvelle chaque fois qu’elle franchit le filet."


To understand a message is to decode it. Language is a code. But every decoding is another encoding. If you say something to me I check that I have understood your message by saying it back to you in my own words, that is, different words from the ones you used, for if I repeat your own words exactly you will doubt whether I have really understood you. But if I use my words it follows that I have changed your meaning, however slightly; and even if I were, deviantly, to indicate my comprehension by repeating back to you your own unaltered words, that is no guarantee that I have duplicated your meaning in my head, because I bring a different experience of language, literature, and non-verbal reality to those words, therefore they mean something different to me from what they mean to you. And if you think I have not understood the meaning of your message, you do not simply repeat it in the same words, you try to explain it in different words, different from the ones you used originally; but then the it is no longer the it that you started with. And for that matter, you are not the you that you started with. Time has moved on since you opened your mouth to speak, the molecules in your body have changed, what you intended to say has been superseded by what you did say, and that has already become part of your personal history, imperfectly remembered. Conversation is like playing tennis with a ball made of Krazy Putty that keeps coming back over the net in a different shape.


jeudi 8 juillet 2021

Ramuz (inachèvement)

 

Ramuz, Posés les uns à côté des autres, introduction de Rudolf Mahrer, éd. Zoé, 2020 p. 3-4 : 

"Plus qu'aucun autre auteur du panthéon moderne et contemporain (sinon peut-être Balzac), Ramuz n'a cessé de réécrire des oeuvres pourtant déjà diffusées. Chacun de ses romans publiés (à l'exclusion du dernier) a connu au moins trois versions. Ramuz nie tout simplement l'effet stabilisateur de la publication, censée marquer la fin du processus d'écriture ; il assume, ce faisant, que l'identité de l'oeuvre ne se situe pas dans la lettre — défiance envers l'écriture — mais dans l'esprit qui la porte ; refaisant ce qui a déjà fait oeuvre, il assume encore et à la fois le caractère à ses yeux perfectible de son art et sa permanente volonté de mieux faire. Pour lui, comme pour les écrivains d'avant l'imprimerie industrialisée (disons Montaigne), publier et republier, c'est encore écrire, c'est-à-dire transformer. Après leur publication donc, Ramuz n'abandonne pas ses oeuvres les plus importantes. Il vit avec elles et elles vivent avec lui."


mercredi 7 juillet 2021

Céline (tension)

 

Victor Pachon 1867-1938 ; médecin, inventeur d'un appareil destiné à mesurer la pression artérielle



[source Wikipédia]



Céline, D'un Château l'autre, Pléiade p. 4 :

"En attendant j’ai plus de "Pachon"... je me suis fait prêter un Pachon pour liquider les ennuyeux, pas mieux !... vous les faites asseoir, vous leur prenez leur "tension"... comme ils bouffent trop, boivent trop, fument trop, c’est rare qu’ils se tapent pas leur 22... 23... maxima... la vie pour eux c’est un pneu... que de leur maxima qu’ils ont peur... l’éclatement ! la mort !... 25 !... là, ils s’arrêtent d’être loustics ! sceptiques ! vous leur annoncez leur 23 !... vous les revoyez plus ! ce regard qu’ils vous jettent en partant ! la haine !... le sadique assassin que vous êtes ! "au revoir ! au revoir !..."

Bon !... moi toujours avec mon Pachon je prends soin des amis... ils venaient pour se marrer de ma misère... 22 !... 23 !... je les revois plus !... mais tout résumé, sans broderie, je voudrais bien ne plus pratiquer... cependant, durer je dois ! diabolicum ! jusqu’à la retraite ! enfin, peut-être ?..."


mardi 6 juillet 2021

Angelus Silesius (choix)

 

Angelus Silesius,  Chemin vers la joie (anthologie bilingue) éd. Pfister, Artfuyen 2006 : 


4, 119  : "Nettoie-bien le tonneau du cœur, un simple fond de lie  et jamais plus Dieu n'y versera de son vin" 

6, 24 : "Qui porte en soi l'honneur ne va pas le chercher dehors" ; 

5, 4 : "comme sans l'Un les nombres ne peuvent subsister, sans l'Un, sans Dieu, les créatures  s'abîment dans le néant." 

1, 52 : "Mon esprit est un grain de sénevé ; que le chauffe son soleil , il s'élève dans une extase joyeuse." 

5, 306 : "Un cœur que l'amour de Dieu n'a blessé, si même il n'y paraît, est malade et sans force" ; 

5, 351 : "Dans l'Esprit, tous les sens n'en sont qu'un ; qui voit Dieu le goûte et le sent, le touche et l'entend." ; 

4, 184 : "Homme, il ne peut être plus étonnant mystère qu'une âme sainte devenue un seul être avec Dieu" ("mit Gott ein ein'ges ein") ; 

5, 1 ; "Tout sort de l'Un et doit y retourner s'il ne veut être divisé et dans le multiple" ; 

2, 171 : "Je veux être un phénix et me brûler en Dieu pour que rien ne puisse me séparer de Lui" ; 

1, 107 : "S'il est vai que la créature s'est écoulée de Dieu, comment la garde-t-il encore enfermée dans son sein ?" ; 

5, 195 : "Dieu est bien plus à celui qui demeure en pure oisiveté, qu'à celui qui le poursuit, le corps et l'âme en sueur" ; 

5, 207 : "Ce que tu peux accomplir de plus grand pour Dieu : souffrir en Dieu, reposer en lui, sans rien faire."

1, 265 : "Ah, si comme les oiseaux des bois, nous les hommes nous faisions notre joie de chacun chanter notre note !" ; 

5, 7 : "Tous les saints sont un seul saint, car en un seul corps ils ont un cœur unique, une seule âme, un seul esprit. " ; 

4, 137 : "Dans le feu, qui peut reconnaître l'étincelle ? lorsque je suis en Dieu, qui peut dire que je le suis ?" ; 

1, 110 : "Depuis le premier jour et maintenant encore, la créature ne cherche rien que la quiétude de son créateur. 

4, 213 : "Ce que l'on peut concevoir de plus noble : un homme vraiment, profondément pauvre"   


lundi 5 juillet 2021

Gadda (miroir)

 

Gadda, Eros et Priape traduction Clerico p. 202-203 : 

"Avant de quitter sa chambrette pour un rendez-vous galant, tout jouvenceau se contemple [...] longuement dans le miroir. Il en prend congé sur un dernier coup de peigne, sur l'assurance d'un dernier coup d'oeil. Avant que d'être Adonis secouru par la déesse, ou Pâris inséré dans une troupe de femelles, au gynécée, tout jouvenceau est par nécessité Narcisse au bord de la fontaine. Tu ne persuades les autres, pardon, je veux dire ces dames, que si tu t'es d'abord persuadé toi-même. Tu vas la dégoûter, l'autre, si tu commences à te prendre toi-même en grippe. Les premiers égards de la gentillesse, de la propreté, de l'hygiène, de la politesse, ils naissent de la nécessité de plaire, de persuader physiquement et moralement une autre personne. Ainsi la charge, je dirai même la fonction autoérotique, la praxis du miroir, prélude-t-elle selon un jeu nécessaire, prélude-t-elle immanquablement à la praxis d'amour. Ainsi l'élégance est-elle surtout le fait des jeunes. Et le jeune tu peux le voir chercher son reflet non pas tant dans la glace que (et comment !) dans les réactions psychiques des gens qui l'entourent, ou de l'agora ou de l'aréopage devant lesquels il devra comparaître."


Prima di dipartirsi di sua cameretta verso il convegno d'amore, ogni giovine si rimira lungamente nello specchio. Se ne congeda con un ultimo colpo di pettine, con uno sguardo assecurativo. Prima di essere Adone soccorso dalla dea, o Paride imbrancato tra le femine, in nel gineceo, ogni giovine è necessitatamente Narcisso in riviera di fontana. Tu persuadi agli altri, mi sbaglio, alle altre, se prima hai persuaso a te stesso. Tu moverai a schifo l'altra, se prima avrai movuto ad uggia te stesso. I primi riguardi della gentilezza, della pulitezza, della igiene, del garbo e' nascono dalla necessità di piacere, di persuadere fisicamente e moralmente ad altra. Così la carica, anzi dirò la funzione autoerotica, la prassi dello specchio, prelude secondo un giuoco

necessario, prelude inderogabilmente alla prassi d'amore. Così la eleganza è soprattutto de' giovini. E il giovine te tu lo vedi a specchiarsi non tanto nel vetro, quanto e ben più nelle reazioni psichiche della gente che lo circonda, o dell'agorà o dell'areopago innanzi a' quali avrà da comparire.

dimanche 4 juillet 2021

Ravalec (enchaînement)

 

Ravalec, Les Clés du bonheur (in Du Pain pour les pauvres et autres nouvelles) : 

"À partir de ce moment-là, sans qu’on sache pourquoi, tout est parti à vau-l’eau, une fille est morte en sniffant du trichlo trois jours après son arrivée, ça en a fichu un coup à tout le monde, et une autre a raconté à son juge à quel point l’ambiance était conviviale entre adultes et mineurs, le soir, après l’extinction des feux. Ajoutez là-dessus la bisbille de Marie-Joëlle avec Roger, le gars du Carrefour, ils s’étaient revus, elle avait recraqué mais Bruno s’en était mêlé et elle avait recassé, et comme c’était un ancien gendarme, il connaissait plein de monde, à la campagne, n’étant pas nombreux ils sont tous en relations, il avait son oncle à la préfecture et pour se venger il avait balancé le pot aux roses comme quoi les ballets bleus c’était poèmes pour jeunes filles à côté des turpitudes de la clique au charlatan, tant et si bien qu’un matin c’est les gars du SRPJ local qui nous avaient réveillés. Bruno était encore au lit avec Carole, lui aussi avait fini par y venir, et il était redescendu avec les menottes."