Jünger, Graffiti trad. H. Plard 10x18 p. 51-52 :
« Quand la contemplation dépasse une certaine borne extrême, la conscience se retourne et se généralise [...] Ce n'est pas seulement l'artiste, mais aussi le philosophe et l'historien, et d'ailleurs tout homme dont l'effort intellectuel dépasse le mesurable et l'assimilable pour atteindre aux conceptions générales, qui est amené à cette dépossession de soi [...] Nous appelons cet acte "entrer dans l'objet". Mais en même temps, c'est l'objet qui entre dans le contemplateur. Les facultés masculines et féminines commencent à coïncider, sous la forme de l'intuition et de la conception ; elles se recouvrent. Ainsi se modifient, et la vue des choses et aussi leur expression. Un bon exemple s'en trouve dans le récit que donne Goethe sur sa visite au musée de Dresde. Si la contemplation des tableaux nous épuise et nous affecte, c'est qu'elle exige de nous un sacrifice : de la substance magique. Seul, ce sacrifice nous préserve du danger de la reproduction, qui serait de ne répondre qu'en écho.
Quand cet intérêt supérieur mène au fond des choses, la perte s'inverse en gain. "Voilà ce que tu es" : ces mots ne reviennent pas à nous comme un écho, mais comme un acquittement. Nous n'avons plus besoin de l'œil - le dépouillement de soi devient alors souvenir. »