Gogol, Les Âmes mortes, 1° partie chap. 3, trad. Charrière :
« Il procéda à l’ouverture de son grand nécessaire. L’auteur, à tort ou à droit, est persuadé qu’il y a des lecteurs très capables de désirer ici une inspection détaillée, un plan exact des compartiments, des secrets même de ce nécessaire. Pourquoi leur refuser cette petite satisfaction, si on nous en laisse le temps toutefois ? Voici quelle était la disposition intérieure de la caisse : cette caisse s’ouvre en pupitre ; dans le milieu de la partie haute est le nécessaire à barbe distribué en case à savonnette, case à blaireau, case à cinq cloisons pour six rasoirs ; plus haut est le matériel de bureau : case pour l’encrier, case pour le sable, long chenal pour les plumes, les crayons, la cire à cacheter et le cachet, puis sur les côtés plusieurs cases plus ou moins profondes, les unes couvertes, les autres sans bouchons pour les objets courts et pour la monnaie. Toute cette partie s’enlève, et l’on trouve un second plateau moins profond, contenant, outre des ciseaux, des canifs, des limes et autres objets de cette sorte logés sur les bords à leur place marquée, un fouillis de billets de visite, de faire part, d’invitation, de spectacle, etc., etc. Ce deuxième plateau, enlevé comme le premier, met à découvert les papiers d’affaires grand format, les uns couverts d’écriture, les autres vierges encore sauf les divers timbres qu’on distingue sur une certaine masse placée au fond. À l’arrière et sur les côtés se trouvaient certaines coulisses dont l’une s’ouvrit pour donner passage à un tiroir secret qui fut tiré et repoussé promptement à plusieurs reprises. C’était le tiroir à l’argent ; vous dire ce qu’il contenait dans ce moment, c’est ce que nous ne saurions faire, Tchitchikof parut entendre quelque bruit de pas ; il remit en hâte la coulisse, et, sans rentrer les deux plateaux supérieurs, il rabattit la trappe couverte de maroquin vert formant la moitié de son pupitre, il regarda le bec de sa plume du côté du jour, et il se mit à écrire, juste au moment où la dame entrait et venait à lui. »
Philippe (Charles-Louis), Croquignole, I, 1 :
« On lui demandait encore :
- Paulat, montre-moi ton tiroir.
- Non, c’est à moi, mon tiroir. Je n’ai pas à te montrer mon tiroir.
Mais il n’est homme si juste, qu’il ne succombe. Un soir, il oublia ses clés.
- À la garde ! dirent les autres. Paulat a oublié ses clés !
C’est alors qu’on put savoir ce que valent l’ordre, l’économie et quelques principes. Selon le volume, le rang et les espèces : grattoirs, canifs, crayons, gommes, boîtes de plumes, l’assemblée des fournitures était classée ; des règles d’ébène, disposées avec méthode, constituaient une série de petits casiers, et comme on n’additionne pas des pommes avec des poires, chaque série ne pouvait se mêler à celles d’à côté. Quinze années d’épargne avaient constitué ce trésor, l’honnêteté s’y voyait comme aux jours de l’âge d’or et la lettre de la loi. Les fournitures étant les fournitures du bureau, Paulat les y laissait et n’en savait rien distraire pour sa maison.
Quant à l’usage quotidien, Paulat n’était pourtant point avare, son grattoir n’était pas rouillé sur la tranche, ni la gomme, comme on disait, usée jusqu’à l’ongle. Le porte-plume était neuf, le crayon bien taillé, une case un peu plus grande réunissait les objets dont il se servait chaque jour, bien placée, près de la serrure, à portée de la main. Et comme une boîte de plumes pleine ressemble extérieurement à une boîte de plumes qui ne l’est pas, Paulat, pour éviter les erreurs, avait collé sur la boîte entamée une étiquette ainsi conçue :
BOÎTE DE PLUMES (en service).
On lui vola toutes sortes de choses, on lui répandit du désordre. Le lendemain, il retrouva ses clés, examina le tiroir, mais ne s’ouvrit à personne, sachant qu’il est de toute justice qu’une faute se paie. »