samedi 17 juin 2023

Céline (mésanges)

Céline, Nord, Pléiade p. 460-461 : 

"Avec le jour nous voyons très bien que les avions ont changé de tactique… ils ne passent plus au ras des chaumes… ils piquent de très haut chacun, en flèche… un long tracé de mousse… et broum ! … dardent ! broum ! … dans le cratère ! en plein ! Lili s’intéresse bien plus à un petit scandale des mésanges… une bûche évidée dont elles sortent, par un tout petit trou… y a des « elles » et y a des « ils » … mais je crois que c’est « elle » qui fait la loi… elle qui fait le ménage… aussi en colère, mauvaise crête, que la mère de famille au labeur… toute la nichée est sur la branche, en face, pas fière, becs baissés… en même temps elle jette hors les pailles, crottes, et leur dit ce qu’elle pense, couic ! couic ! d’où ils peuvent lui ramener tout ça ? … bien immobiles sur la brindille, tous becs en bas, rien à répondre… telles algarades chez les oiseaux ont pas que des raisons de sentiments, de ménage aussi, de propreté des lieux, des troncs où ils demeurent… La flambée des restes de Berlin est pas raison de laisser le tronc plein de pailles ! le nid souillon !"



vendredi 16 juin 2023

Bosco (rêve)

Bosco, Malicroix p. 207-208 :

"Si je parle souvent de mon sommeil, c'est que j'attache une grande importance aux événements intérieurs ; et ils ne se créent librement que pendant le temps où le corps repose. Or ce repos du corps n'est pas repos de l'âme, mais abandon de toute surveillance. La raison cède à la poussée des images latentes, et l'empire pur de l'esprit se dissout dans la confusion. Le temps, l'espace, enfantent et perdent sans cesse des dimensions fictives ; ainsi, tous les édifices de l'âme flottent sur le vide. Parmi tant de possibles, il n'est plus de pensée, et rien de nous ne se refuse à croire. Fatalement, cet univers évolue vers le malaise. C'est pourquoi, au réveil, le monde retrouvé apparaît si beau. Recomposé dans ses mesures, rentré dans la stabilité, il est trop rassurant pour qu'on puisse y croire, et l'on pense rêver alors qu'on s'échappe du rêve. Les bruits, les mots, les objets et les êtres les plus usuels de la vie s'allègent tout à coup et prennent une autre nature ; ils deviennent irréels."



jeudi 15 juin 2023

Céline (nord)

Céline, Nord (Pléiade p. 304) : 

"… pluie, soleil, ou neige Berlin a jamais fait rire, personne ! un ciel que rien peut égayer, jamais… déjà à partir de Nancy, vous avez plus rien à attendre… que de plus en plus d’ennuis, sérieux, énormes labeurs, transes de tristesse, guerres de sept ans… mille ans… toujours ! … regardez leurs visages ! … même leurs eaux ! … leur Spree… ce Styx des teutons… comme il passe, inexorable, lent… si limoneux, noir… que rien que le regarder il couperait la chique, l’envie de rire, à plusieurs peuples… "


mercredi 14 juin 2023

Borie (démocratisation)

Borie (Jean), Un Siècle démodé (1989) p. 11 : 

"Le véritable savoir fut toujours ésotérique. Il demande une pénible initiation, il est inaccessible au nombre, et à la veulerie qui l’accompagne. Quand les institutions d’éducation n’accueillaient qu’une minuscule élite, ces vérités étaient immédiatement admises par les intéressés. A la foule, elles seraient inexplicables. Il faut pour la foule des mensonges roses, anesthésiants. Elle n’aura jamais accès à la vérité, ni au pouvoir. D’ailleurs, elle n’y songe point : elle recherche ce qu’elle appelle le bonheur. On pourra, à l’intention de ces béats, inventer quelque simulacre propre à les satisfaire : pourquoi pas des études modernes ? Ils en seront ravis, ils y verront une nouvelle manifestation du progrès. Ils sont si démunis, si confiants, ils attendent qu’on leur donne tout. Immense clientèle populaire, aux yeux électrisés d’espoir, à la cervelle blanche et vide. Ces gens-là n’ont pas commencé à temps. Ils se croient en avance, jamais ils ne rattraperont leur retard."



mardi 13 juin 2023

Bataille (homme et animal)

Bataille, L'Érotisme, II, 2 : 

"L'homme est l'animal qui n'accepte pas simplement le donné naturel, qui le nie. Il change ainsi le monde extérieur naturel, il en tire des outils et des objets fabriqués qui composent un monde nouveau, le monde humain. L'homme parallèlement se nie lui-même, il s'éduque, il refuse par exemple de donner à la satisfaction de ses besoins animaux ce cours libre, auquel l'animal n'apporte pas de réserve. Il est nécessaire encore d'accorder que les deux négations que, d'une part, l'homme fait du monde donné et, d'autre part, de sa propre animalité, sont liées. Il ne nous appartient pas de donner une priorité à l'une ou à l'autre, de chercher si l'éducation (qui apparaît sous la forme des interdits religieux) est la conséquence du travail, ou le travail la conséquence d'une mutation morale. Mais en tant qu'il y a homme, il y a d'une part travail et de l'autre négation par interdits de l'animalité de l'homme."



lundi 12 juin 2023

Montherlant (best of)

Montherlant, Le Cardinal d'Espagne : 


I, III 1111 : "On ne bâtit une œuvre que dans l'indifférence terrible pour ce qui n'est pas elle."


I, VII : "Vous n'avez pas à être ce que vous êtes, mais à être ce que vous devez être."


I, VII 1122 : "Il n'y a pas le pouvoir, il y a l'abus de pouvoir, rien d'autre."


II, III 1235 : "Tout est blessure, quand on est blessé."


II, III 1139 : "Les chats ne s'occupent ni des idées, ni des empires"   


II, III 1139 : "Dieu est le rien"


II, III 1143 : "On ne fréquente pas des gens méprisables, si on les méprise autant qu'on le doit". 


II, III 1144 : "Agir ! Toujours agir ! la maladie des actes, la bouffonnerie des actes. On laisse les actes à ceux qui ne sont capables de rien d'autre".    


II, III 1144 : "Si nous ne faisons pas les choses dans la passion, nous ne ferions rien"   


III, V, 1165 : " — On meurt comme on peut. -— On meurt comme on est. "




dimanche 11 juin 2023

Bloy (par Bardèche)

Bardèche, Léon Bloy, p. 366 :

"[Bloy connut] une sorte d'aggravation décisive de son dogmatisme. La vieillesse, l'absorption abusive de respect, l'isolationnisme du fanatisme avaient entraîné chez lui une sorte de sclérose de la doctrine. Cette sclérose se manifeste par le passage définitif du postulat à la certitude et par une application mécanique des condamnations et des louanges. [...] On a l'impression que la vieillesse, qui se traduit généralement par une raideur des articulations, a provoqué chez lui une sorte d'ossification des rêveries qui passent à un stade d'induration."