vendredi 6 décembre 2019

Lewis (origine de la peinture)


Lewis (Roy), Pourquoi j'ai mangé mon père, trad. Vercors-Barisse, chap. 6 : 

[l’évolution de l’humanité vue à travers une famille préhistorique (de fantaisie)]

« - Qu'est-ce que tu étais en train de faire? rugit oncle Vania.
- J'étais... je... simplement, dit Alexandre en sanglotant et il s'effondra. Il tenait en main une longue braise éteinte, et tout son corps était zébré de noir.
 - Outrage ! Outrage ! tonnait oncle Vania.
- Mais qu'y a-t-il ? dit père en s'avançant pour voir.
Nous nous approchâmes tous, et poussâmes un cri de surprise.
Là, sur le plancher rocheux, il y avait l'ombre d'oncle Vania, mais séparée de lui, immobile. Son ombre sans aucun doute possible : personne n'eût pu se tromper sur ces vastes épaules voûtées, ces jambes velues, ce dos courbé, ces fesses broussailleuses, cette mâchoire prognathe et surtout, surtout ce bras simiesque étendu dans un geste d'accusation typique. Et voici, l'ombre était là, immuable et fixée de la façon la plus étonnante, au milieu de nos ombres à nous qui dansaient et frémissaient dans la lumière du feu.
- Qu'est-ce que c'est ? demanda l'oncle Vania d'une voix terrible, bien qu'il ne pût y avoir qu'une seule réponse désastreuse.
- De l'art fi-figuratif, sanglota Alexandre.
- Sale mouflet! hurla oncle Vania. Qu'as-tu fait de mon ombre?
- Tu l'as toujours, dit père pour l'apaiser. Ou bien il t'en est poussé une seconde très vite. Regarde derrière toi.
- Ah ! dit oncle Vania. Sa rage se fit moins violente. Le fait est, je l'ai. Mais je ne permettrai à personne, fût-ce pour un moment, qu'il ampute mon ombre. »

jeudi 5 décembre 2019

Zola - Calvino (charcuteries)


Zola, Le Ventre de Paris : 
« Elle faisait presque le coin de la rue Pirouette. Elle était une joie pour le regard. Elle riait, toute claire, avec des pointes de couleurs vives qui chantaient au milieu de la blancheur de ses marbres. L’enseigne, où le nom de QUENU-GRADELLE luisait en grosses lettres d’or, dans un encadrement de branches et de feuilles, dessiné sur un fond tendre, était faite d’une peinture recouverte d’une glace. Les deux panneaux latéraux de la devanture, également peints et sous verre, représentaient de petits Amours joufflus, jouant au milieu de hures, de côtelettes de porc, de guirlandes de saucisses ; et ces natures mortes, ornées d’enroulements et de rosaces, avaient une telle tendresse d’aquarelle que les viandes crues y prenaient des tons roses de confitures. Puis, dans ce cadre aimable, l’étalage montait. Il était posé sur un lit de fines rognures de papier bleu ; par endroits, des feuilles de fougère, délicatement rangées, changeaient certaines assiettes en bouquets entourés de verdure. C’était un monde de bonnes choses, de choses fondantes, de choses grasses. D’abord, tout en bas, contre la glace, il y avait une rangée de pots de rillettes, entremêlés de pots de moutarde. Les jambonneaux désossés venaient au-dessus, avec leur bonne figure ronde, jaune de chapelure, leur manche terminé par un pompon vert. Ensuite arrivaient les grands plats : les langues fourrées de Strasbourg, rouges et vernies, saignantes à côté de la pâleur des saucisses et des pieds de cochon ; les boudins, noirs, roulés comme des couleuvres bonnes filles ; les andouilles, empilées deux à deux crevant de santé ; les saucissons, pareils à des échines de chantre, dans leurs chapes d’argent ; les pâtés, tout chauds, portant les petits drapeaux de leurs étiquettes ; les gros jambons, les grosses pièces de veau et de porc, glacées, et dont la gelée avait des limpidités de sucre candi. Il y avait encore de larges terrines au fond desquelles dormaient des viandes et des hachis, dans des lacs de graisse figée. Entre les assiettes, entre les plats, sur le lit de rognures bleues, se trouvaient jetés des bocaux d’achards, de coulis, de truffes conservées, des terrines de foies gras, des boîtes moirées de thon et de sardines. Une caisse de fromages laiteux, et une autre caisse, pleine d’escargots bourrés de beurre persillé, étaient posées aux deux coins, négligemment. Enfin, tout en haut, tombant d’une barre à dents de loup, des colliers de saucisses, de saucissons, de cervelas, pendaient, symétriques, semblables à des cordons et à des glands de tentures riches ; tandis que, derrière, des lambeaux de crépine mettaient leur dentelle, leur fond de guipure blanche et charnue. Et là, sur le dernier gradin de cette chapelle du ventre, au milieu des bouts de la crépine, entre deux bouquets de glaïeuls pourpres, le reposoir se couronnait d’un aquarium carré, garni de rocailles, où deux poissons rouges nageaient, continuellement.

Calvino, Palomar (trad. J.-P. Manganaro) : 
« Monsieur Palomar fait la queue dans une charcuterie de Paris. […] Il lève le regard vers le plafond pavoisé de saucissons qui pendent des guirlandes de Noël comme les fruits des branches du pays de cocagne. Tout autour, sur les étagères en marbre, l’abondance triomphe dans les formes les plus élaborées par l’art et la civilisation. Dans les tranches de pâté de gibier, les courses et le vol à travers les bruyères se fixent à jamais et se subliment en une tapisserie de saveurs. Les galantines de faisan s’étalent en cylindres gris rosé surmontés, pour authentifier leur origine, de deux pattes d’oiseau, comme des serres qui se tendent d’un blason héraldique ou d’un meuble Renaissance.
À travers les enveloppes de gélatine ressortent les grosses mouches de truffe noire, placées en rang comme les boutons sur le veston d’un Pierrot, comme les notes d’une partition, pour consteller les parterres roses bariolés des pâtés de foie gras, des cervelas, des terrines, les galantines, les éventails de saumon, les fonds d’artichauts garnis comme des trophées. Le motif conducteur des petits disques de truffe unifie la variété des substances, comme le noir des tenues de soirée dans un bal masqué, et marque le vêtement de fête des nourritures.
Gris, et opaques, et hargneux sont au contraire les clients […] »

mercredi 4 décembre 2019

Huxley (épiphanie et amour)


Huxley, Le Génie et la déesse (Livre de Poche) traduction Castier p. 64-66 : 
« ... [il] était amoureux, et possédait au moins dix fois plus de vie et d'énergie qu'aux moments ordinaires. Et le monde dans lequel il vivait - comme il était totalement transfiguré ! Je me souviens de la façon dont il regardait les paysages ; et les couleurs étaient incomparablement plus vives, les motifs que composaient les choses dans l'espace étaient incroyablement beaux. Je me souviens des regards qu'il jetait autour de lui dans les rues, et Saint-Louis, vous me croirez si vous le voulez, était la ville la plus magnifique qui eût jamais été construite. Les gens, les maisons, les astres, les Ford modèle T, les chiens arrêtés aux réverbères - tout était plus significatif. Significatif, demanderez-vous, de quoi ? Et la réponse, c'est : d'eux-mêmes. C'étaient là des réalités, et non des symboles. Goethe avait absolument tort. Alles vergängliche N'EST PAS un Gleichnis*. A chaque instant, chaque chose transitoire est éternellement cette chose transitoire. Ce qu'elle signifie, c'est son être propre, et cet être (comme on le voit si nettement quand on est amoureux) est le même que l'Être avec le plus grand E possible. Pourquoi aimez-vous la femme dont vous êtes amoureux ? Parce qu'elle est. Et c'est là, après tout, la définition de Dieu par Lui-Même : Je suis ce que je suis. La femme est qui elle est. Une partie de son fait d'être déborde, et imprègne l'univers tout entier. Les objets et les événements cessent d'être de simples représentants de classes, et deviennent leur propre unicité ; ils cessent d'être les illustrations d'abstractions verbales, et deviennent pleinement concrets. Puis on cesse d’être amoureux, et l’univers s’effondre, avec un petit cri de dérision presque imperceptible, pour reprendre son insignifiance normale.  Puis on cesse d’être amoureux, et l’univers s’effondre, avec un petit cri de dérision presque imperceptible, pour reprendre son insignifiance normale. Pourrait-il jamais demeurer transfiguré ? Peut-être bien. Peut-être est-ce simplement une question d’être amoureux de Dieu.»
* tout ce qui est éphémère n’est pas une parabole

« [He] was in love, and had at least ten times more life and energy than at ordinary times. And the world he was living in - how totally transfigured ! I remember how he looked at landscapes ; and the colours were incomparably brighter, the patterns that things made in space unbelievably beautiful. I remember how he glanced around him in the streets, and St Louis, believe it or not, was the most splendid city ever built. People, houses, trees, T-model Fords, dogs at lamp-posts - everything was more significant. Significant, you may ask, of what ? And the answer is : themselves. These were realities, not symbols. Goethe was absolutely wrong. Alles vergängliche is NOT a Gleichnis. At every instant every transience is eternally that transience. What it signifies is its own being, and that being (as one sees so clearly when one's in love) is the same as Being with the biggest possible B. Why do you love the woman you're in love with? Because she is. And that, after all, is God's own definition of Himself : I am that I am. The girl is who she is. Some of her isness spills over and impregnates the entire universe. Objects and events cease to [be] the mere representatives of classes and become their own uniqueness ; cease to be illustrations of verbal abstractions and become fully concrete. Then you stop being in love, and the universe collapses, with an almost audible squeak of derision, into its normal insignificance. Could it ever stay transfigured ? Maybe it could. Maybe it's just a question of being in love with God. » 


mardi 3 décembre 2019

Diderot (peinture)


Diderot, Salon de 1767, éd. Versini p. 604-605 : 
« […] Si nous ne pouvons retourner dans les forêts notre premier asile, nous sacrifions une portion de notre opulence à appeler les forêts autour de nos demeures ; mais là elles ont perdu sous la main symétrique de l’art leur silence, leur innocence, leur liberté, leur majesté, leur repos. [...] Dans l’impossibilité [...] d’errer dans une campagne, de suivre un troupeau, d’habiter une chaumière, nous invitons à prix d’or et d’argent le pinceau de Wouwermann, de Berghem ou de Vernet à nous retracer les mœurs et l’histoire de nos anciens aïeux. Et les murs de nos somptueuses et maussades demeures se couvrent des images d’un bonheur que nous regrettons, et les animaux de Berghem ou de Paul Potter paissent sous nos lambris, parqués dans une riche bordure. [...] Nous sommes des malheureux autour desquels le bonheur est représenté sous mille formes diverses. »

lundi 2 décembre 2019

Brunschvicg L. (orthographe et mathématique)


Brunschvicg Léon, Un Ministère de l’éducation nationale (1922) p. 77 : 
« La distinction entre l'orthographe et l'arithmétique touche, si l'on y réfléchit, le fond des conceptions dont l'antagonisme traverse l'histoire de l'humanité, depuis le jour où Xénophane et Socrate ont mis en lumière l'opposition entre la littéralité matérielle des cultes positifs et la conscience véritable de l’être intérieur.
Le Dieu de l'orthographe, c'est le faux Dieu. Il a édicté des règles bizarres qui révoltent la raison, qui mettent hors de gamme le jugement et la réflexion ; il manifeste ainsi la toute-puissance d'un commandement extérieur, matériel et arbitraire, auquel force est de se soumettre, sous peine d'être honni, renié, châtié.
Le Dieu de l'arithmétique est le vrai Dieu ; car l'arithmétique assure à chaque individu, avec le discernement et la conscience de sa puissance vérificatrice, l'autonomie de l'intelligence et la maîtrise de soi ; il fait surgir, à l'intérieur de chacun de nous, l'universalité en même temps que la liberté de l'esprit ; il fonde, sur la base indissoluble de la vérité, l'unité de la communauté humaine.
[…] Tout est perdu tant que l'on confond la règle conventionnelle et la loi rationnelle, tant que ce qui devait être science arithmétique est enseigné comme une technique suivant les procédés appliqués à l'enseignement de l'orthographe. Au contraire, tout sera gagné dès que l'enfant aura conquis ce sentiment qu'il existe des problèmes dont la solution sera, pour lui et par lui, objet de découverte et de preuve, au rebours de la règle qui s'impose du dehors par la contrainte de la société. […] »


dimanche 1 décembre 2019

Pieds : Mercier, Balzac, Céline, Nabokov


Mercier, Le nouveau Paris p. 795-796 : 
« Le lendemain des massacres de Septembre, je descendais à pas lents la rue St-Jacques, immobile d'étonnement et d'horreur, surpris de voir les cieux, les éléments, la cité et les humains tous également muets. Déjà deux charrettes pleines de corps morts, avaient passé près de moi : un conducteur tranquille les menait en plein soleil, et à moitié ensevelis dans leurs vêtements noirs et ensanglantés, aux plus profondes carrières de la plaine Montrouge, que j'habitais alors ; une troisième voiture s'avance... un pied dressé en l'air en sortait d'une pile de cadavres ; à cet aspect, je fus terrassé de vénération ; ce pied rayonnait d'immortalité! Il était déjà céleste, celui à qui il avait appartenu ! et la dépouille portait un signe de majesté que l’œil des bourreaux ne pouvait apercevoir. Je l'ai vu, ce pied ; je le reconnaîtrai au grand jour du jugement dernier, lorsque l'éternel, assis sur ses tonnerres, jugera les rois et les septembriseurs. »

Balzac, Le chef-d’œuvre inconnu : 
« Ah ! ah ! s'écria-t-il, vous ne vous attendiez pas à tant de perfection ! Vous êtes devant une femme et vous cherchez un tableau. Il y a tant de profondeur sur cette toile, l'air y est si vrai, que vous ne pouvez plus le distinguer de l'air qui nous environne. Où est l'art ? perdu, disparu ! Voilà les formes mêmes d'une jeune fille. N'ai-je pas bien saisi la couleur, le vif de la ligne qui paraît terminer le corps ? N'est-ce pas le même phénomène que nous présentent les objets qui sont dans l'atmosphère comme les poissons dans l'eau ? Admirez comme les contours se détachent du fond ? Ne semble-t-il pas que vous puissiez passer la main sur ce dos ? Aussi, pendant sept années, ai-je étudié les effets de l'accouplement du jour et des objets. Et ces cheveux, la lumière ne les inonde-t-elle pas ?.. Mais elle a respiré, je crois !... Ce sein, voyez ? Ah ! qui ne voudrait l'adorer à genoux ? Les chairs palpitent. Elle va se lever, attendez. 
-- Apercevez-vous quelque chose ? demanda Poussin à Porbus. 
-- Non. Et vous ? 
-- Rien. 
Les deux peintres laissèrent le vieillard à son extase, regardèrent si la lumière, en tombant d'aplomb sur la toile qu'il leur montrait, n'en neutralisait pas tous les effets. Ils examinèrent alors la peinture en se mettant à droite, à gauche, de face, en se baissant et se levant tour à tour. 
-- Oui, oui, c'est bien une toile, leur disait Frenhofer en se méprenant sur le but de cet examen scrupuleux. Tenez, voilà le châssis, le chevalet, enfin voici mes couleurs, mes pinceaux. 
Et il s'empara d'une brosse qu'il leur présenta par un mouvement naïf. 
-- Le vieux lansquenet se joue de nous, dit Poussin en revenant devant le prétendu tableau. Je ne vois là que des couleurs confusément amassées et contenues par une multitude de lignes bizarres qui forment une muraille de peinture. 
-- Nous nous trompons, voyez ?... reprit Porbus. 
En s'approchant, ils aperçurent dans un coin de la toile le bout d'un pied nu qui sortait de ce chaos de couleurs, de tous, de nuances indécises, espèce de brouillard sans forme; mais un pied délicieux, un pied vivant ! Ils restèrent pétrifiés d'admiration devant ce fragment échappé à une incroyable, à une lente et progressive destruction. Ce pied apparaissait là comme un torse de quelque Vénus en marbre de Paros qui surgirait parmi les décombres d'une ville incendiée. 
-- Il y a une femme là-dessous, s'écria Porbus en faisant remarquer à Poussin les couches de couleurs que le vieux peintre avait successivement superposées en croyant perfectionner sa peinture. »

Céline, Mort à crédit Pléiade p. 842-843 :
« J’ai eu de la veine ! qu’il admettait. Ça je t’assure ! Nous arrivions au Bois-le-Duc... une carburation splendide !... Je ne voulais même pas ralentir... J’aperçois l’institutrice... grimpée en haut du remblai... Elle me faisait des signes... Elle avait lu tous mes ouvrages... Elle agitait son ombrelle... Je ne veux pas être impoli... Je freine à hauteur de l’école... À l’instant je suis entouré, fêté !... Je me désaltère... Je ne devais plus stopper qu’à Chartres... dix-huit kilomètres encore... Le dernier contrôle... J’invite cette jeune fille... Je lui dis : “ Montez Mademoiselle... montez donc à côté de moi ! Prenez donc place ! ” Elle hésite, elle tergiverse la mignonne, elle fait la coquette un peu... J’insiste... La voilà qui s’installe...
Nous démarrons... Depuis le matin, à chaque contrôle, surtout à travers la Bretagne, c’était du cidre et encore du cidre... Ma mécanique vibrait très fort, gazait parfaitement... Je n’osais plus du tout ralentir... Et pourtant j’avais très envie !... Enfin il faut que je cède !... Je freine donc encore un peu... J’arrête tout, je me lève, je saute, j’avise un buisson... Je laisse la belle au volant ! Je lui crie de loin : “ Attendez-moi ! Je reviens dans une seconde !... ” À peine effleurais-je ma braguette, que je me sens, vous entendez ! Assommé ! Enlevé ! Propulsé effroyablement ! tel un fétu par la bourrasque ! Baoum ! Formidable! une détonation inouïe!... Les arbres, les feuillages alentour sont arrachés, fauchés, soufflés par la trombe ! L’air s’embrase ! Je me retrouve au fond d’un cratère et presque évanoui... Je me tâte!... Je me rassemble !... Je rampe encore jusqu’à la route !... Le vide absolu ! La voiture ? Vacuum mon ami ! Vacuum ! Plus de voiture ! Évaporée !... Foudroyée ! Littéralement ! Les roues, le châssis... Chêne !... pitchpin ! calcinés !... Toute la membrure... Que voulez-vous! Je me traîne aux environs, je me démène d’une motte à l’autre ! Je creuse ! Je trifouille! Quelques miettes de-ci, de-là! quelques brindilles... Un petit morceau d’éventail, une boucle de ceinture ! Un des bouchons du réservoir... Une épingle à cheveux ! C’est tout !... Une dent dont je ne fus jamais sûr !... L’enquête officielle n’a rien résolu !... Rien élucidé !... C’était à prévoir... Les causes de ce formidable embrasement demeurent pour toujours mystérieuses... C’est presque deux semaines plus tard à six cents mètres de l’endroit, qu’il fut retrouvé dans l’étang et d’ailleurs après maints sondages un pied nu de cette demoiselle à moitié rongé par les rats. »

Nabokov, Autres rivages Pléiade p. 1282 : 
« Vers la fin, la monotonie du procédé devint absolument insupportable ; l'opérateur, perdant la tête, n'arrivait pas à trouver la quatrième vue, l'ayant mélangée avec celles déjà passées, et, tandis que Lenski attendait patiemment dans l'obscurité, certains des spectateurs se mirent à projeter les ombres noires de leurs mains levées sur l'écran blanc effrayé, et, l'instant d'après, un gamin éhonté et agile (est-il possible que ce fût moi après tout, le Hyde de mon Jekyll ?) trouva le moyen de silhouetter son pied, ce qui, naturellement, déclencha une compétition bruyante. »
« Toward the end, the monotony of the proceedings became quite unbearable; the flustered operator could not find the fourth slide, having got it mixed up with the used ones, and while Lenski patiently waited in the dark, some of the spectators started to project the black shadows of their raised hands upon the frightened white screen, and presently, one ribald and agile boy (could it be I after all—the Hyde of my Jekyll ?) managed to silhouette his foot, which, of course, started some boisterous competition.  »