Steinbeck, Les Raisins de la colère, trad. Duhamel-Coindreau, Folio p. 161-162 :
"Les tracteurs avaient leurs phares allumés, car il n’y a ni jour ni nuit pour un tracteur, et les socs retournent la terre dans les ténèbres et scintillent à la lumière du jour. Et quand un cheval a fini son travail et rentre dans son écurie, il reste encore de la vie, de la vitalité. Il reste une respiration et une chaleur, des froissements de sabots dans la paille, des mâchoires broyant le foin, et les oreilles et les yeux sont vivants. Il y a la chaleur de la vie dans l’écurie, l’ardeur et l’odeur de la vie. Mais quand le moteur d’un tracteur cesse de tourner, il est aussi mort que le minerai dont il sort. La chaleur le quitte comme la chaleur animale quitte un cadavre. Alors les portes de tôle ondulée se referment et le chauffeur rentre chez lui, à vingt milles de là parfois, et il peut rester des semaines ou des mois sans rentrer, car le tracteur est mort. Et cela est simple et de bon rendement. Si simple que le travail perd tout caractère merveilleux, si effectif que le merveilleux quitte la terre et la culture de la terre, et avec le merveilleux la compréhension profonde et le lien.
Le carbone n’est pas un homme, pas plus que le sel ou l’eau, ou le calcium. Il est tout cela mais il est beaucoup plus ; et la terre est beaucoup plus que son analyse. L’homme qui est plus que sa nature chimique, qui marche dans sa terre, qui tourne le soc de sa charrue pour éviter une pierre, qui abaisse les mancherons pour glisser sur un affleurement, qui s’agenouille par terre pour déjeuner ; cet homme qui est plus que les éléments dont il est formé connaît la terre qui est plus que son analyse. Mais l’homme-machine qui conduit un tracteur mort sur une terre qu’il ne connaît pas, qu’il n’aime pas, ne comprend que la chimie, et il méprise la terre et se méprise lui-même. Quand les portes de tôle sont refermées il rentre chez lui, et son chez-lui n’est pas la terre."
Steinbeck, The Grapes of Wrath :
« The tractors had lights shining, for there is no day and night for a tractor and the disks turn the earth in the darkness and they glitter in the daylight. And when a horse stops work and goes into the barn there is a life and a vitality left, there is a breathing and a warmth, and the feet shift on the straw, and the jaws champ on the hay, and the ears and the eyes are alive. There is a warmth of life in the barn, and the heat and smell of life. But when the motor of a tractor stops, it is as dead as the ore it came from. The heat goes out of it like the living heat that leaves a corpse. Then the corrugated iron doors are closed and the tractor man drives home to town, perhaps twenty miles away, and he need not come back for weeks or months, for the tractor is dead. And this is easy and efficient. So easy that the wonder goes out of work, so efficient that the wonder goes out of land and the working of it, and with the wonder the deep understanding and the relation.
And in the tractor man there grows the contempt that comes only to a stranger who has little understanding and no relation. For nitrates are not the land, nor phosphates; and the length of fiber in the cotton is not the land. Carbon is not a man, nor salt nor water nor calcium. He is all these, but he is much more, much more; and the land is so much more than its analysis. The man who is more than his chemistry, walking on the earth, turning his plow point for a stone, dropping his handles to slide over an outcropping, kneeling in the earth to eat his lunch; that man who is more than his elements knows the land that is more than its analysis. But the machine man, driving a dead tractor on land he does not know and love, understands only chemistry; and he is contemptuous of the land and of himself. When the corrugated iron doors are shut, he goes home, and his home is not the land."