Hersant (Yves), Le Marteau de Michel-Ange, in Communications, 64, 1997 p. 81-82 :
https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1997_num_64_1_1973
"La mélancolie, suivant cette riche tradition, est bien autre chose qu'une maladie. Elle naît en même temps que la culture, lorsque l'homme se découvre double : non pas un, mais duel, et portant de l'autre en lui. L'intérêt de l'immense rêverie sur les humeurs du corps, sur la bile noire en particulier, est précisément là : articulant du physiologique sur du psychologique, mettant en relation une substance extrêmement instable (la mélaïna cholê, la mélancolie au sens premier) et une aptitude à créer, elle nous renvoie toujours à l'idée que l'homme doit son excellence, sa créativité artistique en particulier, à une altération qui le travaille au plus intime. Le coup de force aristotélicien, comme l'a montré Jackie Pigeaud, est de remplacer l'inspiration - en tant que principe explicatif des plus hautes œuvres de l'esprit - par un certain état du corps ; ou encore de substituer à l'élection divine une détermination physiologique. Travaillé par la bile noire, l'artiste n'est pas nécessairement un malade, même s'il craint à tout instant de l'être ; violent et inconstant, il l'est parce qu'est violente et inconstante une humeur qui l'incite à devenir autre. Se sentir essentiellement différent de soi, tel serait le propre de l'artiste ; et c'est justement à quoi l'humeur noire le conduit."