samedi 7 octobre 2023

Malherbe (Psaume)

Malherbe, Paraphrase du Psaume CXLV, Œuvres 1630  (éd. posthume) :


N'espérons plus, mon âme, aux promesses du monde :

Sa lumière est un verre, et sa faveur une onde

Que toujours quelque vent empêche de calmer.

Quittons ses vanités, lassons-nous de les suivre;

     C'est Dieu qui nous fait vivre,

     C'est Dieu qu'il faut aimer.


En vain, pour satisfaire à nos lâches envies,

Nous passons près des rois tout le temps de nos vies

A souffrir des mépris et ployer les genoux :

Ce qu'ils peuvent n'est rien ; ils sont comme nous sommes,

     Véritablement hommes,

     Et meurent comme nous.


Ont-ils rendu l'esprit, ce n'est plus que poussière

Que cette majesté si pompeuse et si fière

Dont l'éclat orgueilleux étonne l'univers ;

Et dans ces grands tombeaux où leurs âmes hautaines

     Font encore les vaines,

     Ils ont mangés des vers.


Là se perdent ces noms de maîtres de la terre,

D'arbitres de la paix, de foudres de la guerre;

Comme ils n'ont plus de sceptre, ils n'ont plus de flatteurs,

Et tombent avec eux d'une chute commune

     Tous ceux que leur fortune

     Faisait leurs serviteurs.



vendredi 6 octobre 2023

Claudel (Rimbaud)

Claudel, sur Rimbaud, 

préface à Rimbaud, Pléiade p. 517-518 (1942) : 

"Une espèce d'hypnose « ouverte » s'établit, un état de réceptivité pure fort singulier [...] les mots fortuits [...] montent à la surface de l'esprit. [...] Le poète trouve expression non plus en cherchant les mots, mais au contraire en se mettant en état de silence et en faisant passer sur lui la nature, les espèces sensibles « qui accrochent et tirent » [Lettre de AR du 15 mai 1871]. Le monde et lui-même se découvrent l'un par l'autre chez ce puissant imaginatif, le mot « comme » disparaissant, l'hallucination s'installe et les deux termes de la métaphore lui paraissent presque avoir le même degré de réalité." 


à propos des Mains de Jeanne-Marie (1946) Pléiade p. 1471 : 

"… ce sont des mains […] qui ont tiré du jeune lion ardennais cette poussée de vers incohérents, absurdes, détestables, magnifiques… « Inspirés », jamais mot plus applicable qu'ici. Une inspiration qu'on nourrit avec n'importe quoi, indifféremment avec des mots hétéroclites pêchés au hasard dans la mémoire ou le dictionnaire. Et tout à copup le génie se fait jour : ce n'est qu'un vers, la moitié d'un vers, un seul mot, mais pourpre, écarlate. Le poète arrive quelquefois à sortir la moitié, les trois quarts d'une strophe, jamais une strophe entière ! Comme c'est beau ! et, mon Dieu, comme c'est mauvais ! comme on souffre ! comme on est entraîné ! comme on est déçu et après tout, malgré tout, comme on a compris et comme on a eu son compte !"  . 


jeudi 5 octobre 2023

Valéry (provenances)

Valéry, Introduction à la méthode de Léonard de Vinci (Pléiade t. 1 p. 1156-1157) : 

"Mainte erreur, gâtant les jugements qui se portent sur les œuvres humaines, est due à un oubli singulier de leur génération. On ne se souvient pas souvent qu’elles n’ont pas toujours été. Il en est provenu une sorte de coquetterie réciproque qui fait généralement taire – jusqu’à les trop bien cacher – les origines d’un ouvrage. Nous les craignons humbles ; nous allons jusqu’à redouter qu’elles soient naturelles. Et bien, que fort peu d’auteurs aient le courage de dire comment ils ont formé leur œuvre, je crois qu’il n’y en a pas beaucoup plus qui se soient risqués à le savoir. Une telle recherche commence par l’abandon pénible des notions de gloire et des épithètes laudatives ; elle ne supporte aucune idée de supériorité, aucune manie de grandeur. Elle conduit à découvrir la relativité sous l’apparente perfection. Elle est nécessaire pour ne pas croire que les esprits sont aussi profondément différents que leurs produits les font paraître."


mercredi 4 octobre 2023

Delacroix (technique)

Delacroix, Journal 13 janvier 1857 : 

"Techniques. (se démontre la palette à la main). Le peu de lumières qu’on trouve dans les livres à ce sujet. – Adoration du faux technique dans les mauvaises écoles. – Importance du véritable pour la perfection des ouvrages. C’est dans les plus grands maîtres qu’il est le plus parfait du monde :  Rubens, Titien, Véronèse, les Hollandais ; leur soin particulier, couleurs broyées, préparations, dessiccation des différentes couches. (voir Panneaux). Cette tradition tout à fait perdue chez les modernes. Mauvais produits, négligence dans les préparations, toiles, pinceaux, huiles détestables [...]. David a introduit cette négligence en affectant de mépriser les moyens matériels."


mardi 3 octobre 2023

Gide (instabilité)

Gide, Ainsi soit-il éd. Gallimard, L'Imaginaire p. 66-67 (écrit vers 80 ans) : 

"Je parviens bien difficilement, bien rarement, à avoir le même âge tous les jours. [...] Comprend-on quelle serait la situation de quelqu'un qui, à son réveil, saurait pouvoir, dans le courant du jour, tantôt disposer de rentes abondantes, et tantôt se sentirait réduit presque à la mendicité. Comment oser prendre des engagements lorsqu'on doute si on sera à même de les tenir ? L'inconfiance en soi peut devenir paralysante. Ne pas pouvoir compter sur soi. Celui qui vient au rendez-vous, sera-t-il le même que celui qui l'a pris ? D'où mes retraits, mes dérobades, mes fuites, mon apparente versatilité. Ne pas reconnaître les autres, passe encore ; mais ne pas se reconnaître soi-même, que c'est gênant ! Laissez-moi donc me retirer du jeu, par crainte de vous faire faux bond. Aujourd'hui, je vous parlerais volontiers ; demain je risque de ne trouver rien à vous dire"


lundi 2 octobre 2023

Houellebecq (putes)

Houellebecq, Plateforme, 2001 :

"C’est vraiment rare, maintenant, les femmes qui éprouvent du plaisir, et qui ont envie d’en donner. Séduire une femme qu’on ne connaît pas, baiser avec elle, c’est surtout devenu une source de vexations et de problèmes. Quand on considère les conversations fastidieuses qu’il faut subir pour amener une nana dans son lit, et que la fille s’avérera dans la plupart des cas une amante décevante, qui vous fera chier avec ses problèmes, vous parlera de ses anciens mecs – en vous donnant, au passage, l’impression de ne pas être tout à fait à la hauteur – et qu’il faudra impérativement passer avec elle au moins le reste de la nuit, on conçoit que les hommes puissent préférer s’éviter beaucoup de soucis en payant une petite somme. Dès qu’ils ont un peu d’âge et d’expérience, ils préfèrent éviter l’amour ; ils trouvent plus simple d’aller voir les putes."


dimanche 1 octobre 2023

Félibien (Rembrandt - distance 2/2)

Félibien (André), Entretiens... 1685 : 

"La distance qu'on demande pour bien voir un tableau n'est pas seulement afin que les yeux aient plus d'espace et plus de commodité pour embrasser les objets, et pour les mieux voir ensemble : c'est encore afin qu'il se trouve davantage d'air entre l'œil et l'objet. 

[...] Quelque soin qu'on apporte à bien peindre un ouvrage, toutes ses parties étant composées d'une infinité de différentes teintes, qui demeurent toujours en quelque façon distinctes et séparées, ces teintes n'ont garde d'être mêlées ensemble, de la même sorte que sont celles des corps naturels. Il est bien vrai que quand un tableau est peint dans la dernière perfection, il peut être considéré dans une moindre distance ; et il a cet avantage de paraître avec plus de force et de rondeur, comme font ceux du Corrège. [...] La grande union et le mélange des couleurs sert beaucoup à donner aux tableaux plus de force et de vérité, et [...] aussi plus ou moins de distance contribue infiniment à cette union."