Mann, La Montagne magique, I, 5 :
trad. Betz, 1924 :
"– Ah oui, la rigidité du cadavre, dit Hans Castorp gaiement. Très bien, très bien. Et ensuite vient l’analyse générale, l’anatomie du tombeau.
– Oui, bien entendu. Vous avez d’ailleurs joliment dit cela. La chose alors s’étend. On se répand en quelque sorte. Pensez donc, toute cette eau ! Et les autres ingrédients sans vie se conservent très mal, en pourrissant, ils se décomposent en combinaisons plus simples, en combinaisons inorganiques.
– Pourriture, décomposition, dit Hans Castorp, n’est-ce pas là combustion, combinaison avec l’oxygène, autant que je sache ?
– Très juste. Oxydation.
– Et la Vie ?
– Aussi. Aussi, jeune homme. Aussi de l’oxydation. La vie est principalement une oxydation de l’albumine des cellules, c’est de là que provient cette bonne chaleur animale, que l’on a parfois en excès. Oui, vivre c’est mourir, il n’y a rien à enjoliver là dedans, – une destruction organique, comme je ne sais quel Français, en sa légèreté innée, a une fois appelé la vie. D’ailleurs, c’est l’odeur qu’elle a, la vie. Lorsque nous croyons qu’il en est autrement, c’est notre jugement qui est corrompu.
– Et lorsqu’on s’intéresse à la vie, dit Hans Castorp, on s’intéresse notamment à la mort. N’est-ce pas vrai ?
– Mon Dieu, il y a finalement entre les deux une sorte de différence. La vie, c’est que, dans la transformation de la matière, la forme subsiste.
– Pourquoi conserver la forme ? dit Hans Castorp.
– Pourquoi ? Écoutez, ce n’est pas le moins du monde humaniste, ce que vous me dites là.
– La forme, on s’en fiche."
trad Oliveira, 2016 :
"– Ah oui, la rigidité cadavérique, dit Hans avec entrain. Très bien, très bien. Et ce qui suit, c’est l’analyse générale, l’anatomie du tombeau.
– Oui, ça va de soi. Vous l’avez d’ailleurs joliment exprimé. Ensuite, la chose prend de l’ampleur. On se dissout en s’écoulant, pour ainsi dire. Toute cette eau, pensez donc ! Et, sans vie, les autres ingrédients ne se conservent guère ; la putréfaction les décompose en combinaisons plus simples, anorganiques.
– La putréfaction, la décomposition, dit Hans, c’est de la combustion, l’union d’une substance avec l’oxygène, autant que je sache.
– Très juste : de l’oxydation.
– Et la vie ?
– Aussi, jeune homme, aussi. C’est encore de l’oxydation. La vie n’est en fait que la combustion par l’oxygène des protéines qu’il y a dans les cellules, d’où cette bonne chaleur animale qu’on a parfois en excès. Eh oui, la vie, c’est la mort, inutile d’enjoliver les choses, une destruction organique, comme l’a qualifiée je ne sais quel Français avec cette légèreté qu’il a dans le sang. La vie a du reste cette odeur. Si nous croyons qu’il en est autrement, c’est que notre jugement a été circonvenu.
– Et s’intéresser à la vie, dit Hans, c’est notamment s’intéresser à la mort. Ne le fait-on pas ?
– Bah, il reste tout de même une vague différence entre les deux. La vie, c’est le maintien de la forme dans l’évolution de la matière.
– À quoi bon conserver cette forme ?
– À quoi bon ? Écoutez, votre question est tout sauf humaniste !
– La forme, c’est du chichi !"
Ja so, die Totenstarre«, sagte Hans Castorp munter. »Sehr gut, sehr gut. Und dann kommt die Generalanalyse, die Anato- mie des Grabes.«
»Na, selbstredend. Das haben Sie übrigens schön gesagt. Dann wird die Sache weitläufig. Man fließt auseinander, sozu- sagen. Bedenken Sie all das Wasser! Und die anderen Ingre- dienzien sind ohne Leben ja wenig haltbar, sie werden durch die Fäulnis in simplere Verbindungen zerlegt, in anorganische.«
»Fäulnis, Verwesung, sagte Hans Castorp, »das ist doch V erbrennung, Verbindung mit Sauerstoff, soviel ich weiß.«
»Auffallend richtig. Oxydation.«
»Und Leben?«
»Auch. Auch, Jüngling. Auch Oxydation. Leben ist hauptsächlich auch bloß Sauerstoffbrand des Zelleneiweiß, da kommt die schöne tierische Wärme her, von der man manchmal zu viel hat. Tja, Leben ist Sterben, da gibt es nicht viel zu beschönigen, - une destruction organique, wie irgendein Franzose es in seiner angeborenen Leichtfertigkeit mal genannt hat. Es riecht auch danach, das Leben. Wenn es uns anders vorkommt, so ist unser Urteil bestochen.«
»Und wenn man sich für das Leben interessiert«, sagte Hans Castorp, »so interessiert man sich namentlich für den Tod. Tut man das nicht?«
»Na, so eine Art von Unterschied bleibt ja immerhin. Leben ist, daß im Wechsel der Materie die Form erhalten bleibt.«
»Wozu die Form erhalten«, sagte Hans Castorp.
»Wozu? Hören Sie mal, das ist aber kein bißchen huma- nistisch, was Sie da sagen.«
»Form ist ete-pe-tete.