Bataille, Ma Mère éd. Pauvert 1966 p. 11-12 :
"Après dîner, j’entendais fréquemment de ma chambre une scène bruyante, inintelligible pour moi, qui me laissait le sentiment que j’aurais dû venir en aide à ma mère. De mon lit, je prêtais l’oreille à des éclats de voix mêlés au bruit de meubles renversés. Parfois je me levais et, dans le couloir, j’attendais que le bruit s’apaisât. Un jour la porte s’ouvrit : je vis mon père rouge, vacillant, semblable à un ivrogne des faubourgs, insolite dans le luxe de la maison. Jamais mon père ne me parlait qu’avec une sorte de tendresse, en des mouvements aveugles, puérils presque de tremblement. Il me terrifiait. Je le surpris une autre fois, traversant les salons : il bousculait les sièges et ma mère à demi dévêtue le fuyait : mon père était lui-même en pans de chemise. Il rattrapa ma mère : ensemble, ils tombèrent en criant. Je disparus et je compris alors que j’aurais dû rester chez moi. Un beau jour, égaré il ouvrit la porte de ma chambre : il se tint sur le seuil une bouteille à la main ; il me vit, la bouteille lui échappant se brisa et l’alcool coula. Un moment, je le regardai : il se prit la tête dans les mains après le bruit ignoble de la bouteille, il se taisait, mais je tremblais."