samedi 28 novembre 2020

Huxley (enfance)

 Huxley, Le Génie et la déesse, traduction Castier, Livre de poche 1966 p. 36-37 : 

« Vous souvenez-vous de l'acuité de vos sensations, de l'intensité avec laquelle vous sentiez les choses, quand vous étiez enfant ? Le ravissement des framboises à la crème, l'horreur du poisson, l'enfer de l'huile de ricin ! Et le supplice d'être obligé de se lever pour réciter devant toute la classe ! Et la joie indicible d'être assis à côté du cocher en ayant dans les narines l'odeur de la sueur des chevaux et du cuir, tandis que la route blanche s'étendait au loin jusqu'à l'infini, et que les champs de maïs et de choux tournaient lentement, au passage du buggy, s'ouvrant et se refermant comme d'énormes éventails ! Quand on est enfant, on a l'esprit pareil à une espèce de solution saturée de sentiment, où tous les frissons sont en suspension - mais à l'état latent, en situation d'indétermination. Parfois ce sont les circonstances extérieures qui agissent comme agent cristallisateur, parfois c'est votre propre imagination. On a besoin de quelque frisson d'un genre particulier, et l'on se surexcite, de propos délibéré, jusqu'à ce qu'on obtienne un cristal de plaisir, rose et brillant, par exemple, ou une motte de peur, verte ou couleur ecchymose. »


« Can you remember how acute your sensations were, how intensely you felt about everything, when you were a child? The rapture of raspberries and cream, the horror of fish, the hell of castor oil! And the torture of having to get up and recite before the whole class! The inexpressible joy of sitting next to the driver, with the smell of horse sweat and leather in one’s nostrils, the white road stretching away to infinity, and the fields of corn and cabbages slowly turning, as the buggy rolled past, slowly opening and shutting like enormous fans! When you’re a child, your mind is a kind of saturated solution of feeling, a suspension of all the thrills—but in a latent state, in a condition of indeterminacy. Sometimes it’s external circumstances that act as the crystallizing agent, sometimes it’s your own imagination. You want some special kind of thrill, and you deliberately work away at yourself until you get it—a bright pink crystal of pleasure, for example, a green or bruise-colored lump of fear.  »



vendredi 27 novembre 2020

Tocqueville (littérature démocratique)

 Tocqueville, De la démocratie en Amérique [1840], chapitre XIII 'Physionomie littéraire des siècles démocratiques', G.F. t. 2 p. 73-74 :

"Ils aiment les livres qu’on se procure sans peine, qui se lisent vite, qui n’exigent point de recherches savantes pour être compris. Ils demandent des beautés faciles qui se livrent d’elles-mêmes et dont on puisse jouir sur l’heure ; il leur faut surtout de l’inattendu et du nouveau. Habitués à une existence pratique, contestée [sic], monotone, ils ont besoin d’émotions vives et rapides, de clartés soudaines, de vérités ou d’erreurs brillantes qui les tirent à l’instant d’eux-mêmes et les introduisent tout à coup, et comme par violence, au milieu du sujet.

[...] Prise dans son ensemble, la littérature des siècles démocratiques ne saurait présenter, ainsi que dans les temps d’aristocratie, l’image de l’ordre, de la régularité, de la science et de l’art ; la forme s’y trouvera, d’ordinaire, négligée et parfois méprisée. Le style s’y montrera souvent bizarre, incorrect, surchargé et mou, et presque toujours hardi et véhément. Les auteurs y viseront à la rapidité de l’exécution plus qu’à la perfection des détails. Les petits écrits y seront plus fréquents que les gros livres, l’esprit que l’érudition, l’imagination que la profondeur ; il y régnera une force inculte et presque sauvage dans la pensée, et souvent une variété très grande et une fécondité singulière dans ses produits. On tâchera d’étonner plutôt que de plaire, et l’on s’efforcera d’entraîner les passions plus que de charmer le goût."


jeudi 26 novembre 2020

Céline + Giono + Tremblay (crépuscules)

 [Céline et Tremblay avaient déjà été mis en ligne le 22 mai 2020] 


Céline, Voyage au bout de la nuit, Pléiade p. 168 :

« Les crépuscules dans cet enfer africain se révélaient fameux. On n’y coupait pas. Tragiques chaque fois comme d’énormes assassinats du soleil. Un immense chiqué. Seulement c’était beaucoup d’admiration pour un seul homme. Le ciel pendant une heure paradait tout giclé d’un bout à l’autre d’écarlate en délire, et puis le vert éclatait au milieu des arbres et montait du sol en traînées tremblantes jusqu’aux premières étoiles. Après ça le gris reprenait tout l’horizon et puis le rouge encore, mais alors fatigué le rouge et pas pour longtemps. Ça se terminait ainsi. Toutes les couleurs retombaient en lambeaux, avachies sur la forêt comme des oripeaux après la centième. Chaque jour sur les six heures exactement que ça se passait. »


Giono, Un Roi sans divertissement : 

« Chaque soir, désormais, les murailles du ciel seront peintes avec ces enduits qui facilitent l’acceptation de la cruauté et délivrent les sacrificateurs de tout remords. L’Ouest, badigeonné de pourpre, saigne sur des rochers qui sont incontestablement bien plus beaux sanglants que ce qu’ils étaient d’ordinaire rose satiné ou du bel azur commun dont les peignaient les soirs d’été, à l’heure où Vénus était douce comme un grain d’orge. Un blême vert, un violet, des taches de soufre et parfois même une poignée de plâtre là où la lumière est la plus intense, cependant que sur les trois autres murailles s’entassent les blocs compacts d’une nuit, non plus lisse et luisante, mais louche et agglomérée en d’inquiétantes constructions : tels sont les sujets de méditation proposés par les fresques du monastère des montagnes. Les arbres font bruire inlassablement dans l’ombre de petites crécelles de bois sec. »


Tremblay, La grosse Femme d’à côté est enceinte chap 11 : 

« Elle avait décidé de venir voir le soleil mourir derrière les arbres du parc. ‘’Chaque chose en son temps. Comme disait si bien ma grand-mère: ’Y a rien qui est assez important pour remplacer le seul show gratis que le bon Dieu nous a donné. Si t'as des problèmes au coucher du soleil, laisse-les tomber pis va te pâmer devant l'orgie de couleurs que ton créateur se paye tou'es soirs, ça console, ça lave, ça purifie’. A l'avait ben raison, la vieille tornon. Le coucher du soleil, c'est comme un coup de couteau qui coupe la journée en deux ! Quand tu regardes ça, t'es pas heureux, t'es pas malheureux, t'es p'tit.  »


mercredi 25 novembre 2020

Giono (routes et rues)

Giono, Monologue (Faust au village) : 

« Nous avons une grand-route qui vient de très loin et qui va très loin ; elle arrive chez nous par un col, nous traverse en contournant tous nos coteaux et s’en va de chez nous par un autre col très haut d’où elle tombe en plein dans le sud, le midi, le soleil. Pendant qu’elle monte au col, la route qui vient d’ici même et va au canton la coupe à angle droit.  »


Giono, Les Âmes fortes : 

« Il y a une route qui vient de la Drôme. Elle vient ! Elle en fait des manières pour venir ! À chaque ruisseau, s’il y a seulement quatre travers de doigt d’eau, elle s’y reprend à cinq ou six fois avant de faire un pont. Elle s’approche, elle s’écarte ; enfin, elle traverse ; après avoir eu l’air de dire : à dieu vat ! Elle ramasse tous les peupliers qu’elle trouve. Quand elle arrive à Châtillon, elle en a plus de deux cents à ses trousses. Deux cents, qu’est-ce que je dis ? Plus de deux mille. Elle en a de chaque côté sur cinq kilomètres. Et quand elle est dans Châtillon, cette route-là, qu’est-ce qu’elle y fait ? Comme tout le monde à Châtillon : elle y tourne sur elle-même. »


Giono, Les Âmes fortes : 

« Même les rues faisaient prudemment le tour de certaines maisons : des rues pleines d’épiceries, de boucheries, d’artisaneries, de tonneliers et de charrons, brusquement devenaient grises et ne pipaient plus mot. À peine si elles osaient s’approcher de certaines vieilles maisons très dentelées. Elles venaient jusque-là avec de timides écuries à chèvres ou des murs sans aucune ouverture. Elles tournaient sur la pointe des pieds autour des perrons, des bornes et des fenêtres grillagées. C’étaient de vieilles familles. Il n’en restait plus que des chicots.

Ou bien alors, c’était le contraire : la rue faisait bombance autour d’enseignes : 'père et fils' ou 'Marius frères'. Et, en avant la musique ! C’étaient des étalages, des charrettes qu’on chargeait et déchargeait. »


mardi 24 novembre 2020

Faulkner (Sanctuaire)

 Faulkner, Sanctuaire (incipit), traduction Raimbault et Delgove : 

"À travers l’écran des broussailles qui entouraient la source, Popeye regardait l’homme boire. Un vague sentier venant de la route aboutissait là. L’homme, un grand sec, sans chapeau, en pantalon de flanelle grise fatigué, sa veste de tweed sur le bras, avait débouché du sentier et s’était agenouillé pour boire. Popeye le regardait.

La source jaillissait au pied d’un hêtre et s’écoulait en sinuant sur un fond de sable onduleux. Tout autour s’était développée une épaisse végétation de cannes, de bruyères, de cyprès, d’eucalyptus, à travers lesquels les rayons du soleil ne parvenaient que divisés et diffus. Quelque part, caché, mystérieux, et pourtant tout proche, un oiseau lançait trois notes, puis se taisait.

L’homme buvait, son visage affleurant le reflet brisé et multiplié de son geste. Lorsqu’il se releva, il découvrit au milieu de son propre reflet, sans avoir pour cela entendu aucun bruit, l’image déformée du canotier de Popeye.

En face de lui, de l’autre côté de la source, il aperçut une espèce de gringalet, les mains dans les poches de son veston, une cigarette pendante à la lèvre inférieure. Son complet était noir : veston cintré à taille haute, pantalon au repli encroûté de boue tombant sur des chaussures crottées. Son visage au teint indéfinissable, exsangue, semblait vu à la lumière électrique. Sur ce fond de silence et de soleil, avec son chapeau de paille sur le coin de l’œil et l’angle obtus de ses deux bras, il revêtait l’inquiétante minceur d’une silhouette de fer blanc.

Derrière lui, l’oiseau chanta de nouveau, trois notes, toujours les mêmes ; un chant à la fois inexpressif et profond, succédant à l’oppressant silence dans lequel le lieu semblait s’isoler, et d’où surgit, l’instant d’après, le bruit d’une automobile qui passa sur la route et mourut dans le lointain.

Ayant bu, l’homme restait à genoux près de l’eau. « C’est un revolver que vous avez dans cette poche ? » fit l’autre.

De l’autre côté de la source, les yeux de Popeye fixaient l’homme, semblables à deux boutons de caoutchouc noir et souple. « J’vous d’mande, vous entendez, reprit Popeye, qu’est-ce que c’est que vous avez dans votre poche ? »

L’homme avait toujours son veston sur le bras. Il allongea la main vers le veston. D’une poche dépassait un chapeau de feutre bouchonné, et de l’autre un livre. « Laquelle ? » dit-il.

- Inutile de me faire voir, fit Popeye, suffit de le dire.

La main s’arrêta dans son geste. « C’est un livre. »

- Quel livre ? demanda Popeye.

- Un livre ordinaire. Un livre comme tout le monde en lit. Il y a des gens qui lisent.

- Vous lisez des livres ? dit Popeye.

La main de l’homme s’était figée au-dessus du veston. Leurs regards se croisaient par-dessus la source. La mince volute de la cigarette se tordait devant la figure de Popeye que la fumée faisait grimacer d’un côté, comme un masque où le sculpteur eût représenté deux expressions simultanées."


autre traduction : 

"Caché derrière l'écran de broussailles qui entouraient la source, Popeye regardait l'homme  boire. Un vague sentier venant de la route aboutissait à la source. Popeye avait vu l'homme, un grand sec, tête nue, en pantalon de flanelle grise fatigué, sa veste de tweed sur le bras, déboucher du sentier et s'agenouiller pour boire à la source. 

La source jaillissait à la racine  d'un hêtre et s'écoulait sur un fond de sable tout ridé par l'empreinte des remous. Tout autour s'était développée une épaisse végétation de roseaux et de ronces, de cyprès et de gommiers, à travers lesquels les rayons d'un soleil invisible ne parvenaient que divisés et diffus. Quelque part, caché, mystérieux, et pourtant, tout proche, un oiseau lança trois notes, puis se tut. 

À la source l'homme buvait, son visage affleurant le reflet brisé et multiplié de son geste. Lorsqu'il se releva, il découvrit au milieu de son propre reflet, sans avoir pour cela entendu aucun bruit, l'image déformée du canotier de Popeye. 

En face de lui, de l'autre côté de la source, il aperçut une espèce de gringalet, les mains dans les poches de son veston, une cigarette pendant sur son menton. Son complet était noir : veston cintré à taille haute, pantalon au repli encroûté de boue tombant sur des chaussures crottées. Son visage au teint étrange, exsangue, semblait vu à la lumière électrique. Sur ce fond de silence et de soleil, avec son canotier sur le coin de l'œil et ses mains sur les hanches, il avait la méchante minceur de l'étain embouti.                      

Derrière lui, l'oiseau chanta de nouveau, trois mesures monotones, constamment répétées : un chant à la fois dépourvu de sens et profond, qui s'éleva du silence plein de soupirs et de paix dans lequel le lieu semblait s'isoler et d'où surgit, l'instant d'après, le bruit d'une automobile qui passa sur la route et mourut dans le lointain. 

Ayant bu, l'homme restait à genoux près de la source, les yeux de Popeye fixaient l'homme, semblables à deux boutons de caoutchouc noir et souple. « Je te parle, tu entends, reprit Popeye. Qu'est-ce que tu as dans ta poche?  » 

L'homme avait toujours son veston sur le bras. Il allongea une main vers le veston. D'une poche dépassait un chapeau de feutre bouchonné, et de l'autre un livre. « Laquelle ? dit-il. 

- Inutile de me faire voir, fit Popeye, suffit de me le dire. »

La main s'arrêta dans son geste. « C'est un livre. 

- Quel livre ? demanda Popeye. 

- Un livre, simplement. Un livre comme tout le monde en lit. Il y a des gens qui lisent. 

- Tu lis des livres ? » dit Popeye. 

La main de l'homme s'était figée au-dessus du veston. Leurs regards se croisaient de part et d'autre de la source. La mince volute de la cigarette se tordait devant la figure de Popeye que la fumée faisait grimacer d'un côté, comme un masque où le sculpteur eût représenté deux expressions simultanées.   



From beyond the screen of bushes which surrounded the spring, Popeye watched the man drinking. A faint path led from the road to the spring. Popeye watched the man, a tall, thin man, hatless, in worn gray flannel trousers and carrying a tweed coat over his arm-- emerge from the path and kneel to drink from the spring.

The spring welled up at the root of a beech tree and flowed away upon a bottom of whorled and waved sand. It was surrounded by a thick growth of cane and brier, of cypress and gum in which broken sunlight lay sourceless. Somewhere, hidden and secret yet nearby, a bird sang three notes and ceased.

In the spring the drinking man leaned his face to the broken and myriad reflection of his own drinking. When he rose up he saw among them the scattered reflection of Popeye's straw hat, though he had heard no sound.

He saw, facing him across the spring, a man of under size, his hands in his coat pockets, a cigarette slanted from his chin. His suit was black, with a tight, high-waisted coat. His trousers were rolled once and caked with mud above mud-caked shoes. His face had a queer, bloodless color, as though seen by electric light; against the sunny silence, in his slanted straw hat and his slightly akimbo arms, he had that vicious depthless quality of stamped tin.

Behind him the bird sang again, three bars in monotonous repetition: a sound meaningless and profound out of a suspirant and peaceful following silence which seemed to isolate the spot, and out of which a moment later tame the sound of an automobile passing along a road and dying away.

The drinking man knelt beside the spring. "You've got a pistol in that pocket, I suppose," he said.

Across the spring Popeye appeared to contemplate him with two knobs of soft black rubber. "I'm asking you," Popeye said. "What's that in your pocket?"

The other man's coat was still across his arm. He lifted his other hand toward the coat, out of one pocket of which protruded a crushed felt hat, from the other a book. "Which pocket?" he said.

"Dont show me," Popeye said. "Tell me."

The other man stopped his hand. "It's a book." "What book?" Popeye said.

"Just a book. The kind that people read. Some people do."

"Do you read books?" Popeye said.

The other man's hand was frozen above the coat. Across the spring they looked at

one another. The cigarette wreathed its faint plume across Popeye's face, one side of his face squinted against the smoke like a mask carved into two simultaneous expressions.



lundi 23 novembre 2020

Gautier + Huysmans + Céline (nature)

Gautier, Les Jeunes-France, préface p. VIII :

 "Je déteste la campagne : toujours des arbres, de la terre, du gazon ! Qu’est-ce que cela me fait ? C’est très-pittoresque, d’accord, mais c’est ennuyeux à crever. 

Le murmure des ruisseaux, le ramage des oiseaux, et tout l’orchestre de l’églogue et de l’idylle ne me font aucun plaisir ; je dirais volontiers, comme Deburau au rossignol Tais-toi, vilaine bête ! "


Huysmans, À Rebours chapitre 2, GF p. 80 : 

"La nature a fait son temps ; elle a définitivement lassé, par la dégoûtante uniformité de ses paysages et de ses ciels, l'attentive patience des raffinés. Au fond, quelle platitude de spécialiste confinée dans sa partie, quelle petitesse de boutiquière tenant tel article à l'exclusion de tout autre, quel monotone magasin de prairies et d'arbres, quelle banale agence de montagnes et de mers !"


Huysmans, En Rade chapitre 2 :

"Quelle fournaise ! pensa le jeune homme, qui s’assit en tailleur et se tassa, cherchant à s’abriter le corps dans le cercle d’ombre projeté par les ailes de son large chapeau de paille. Et quelle blague que l’or des blés ! se dit-il, regardant au loin ces bottes couleur d’orange sale, réunies en tas. Il avait beau s’éperonner, il ne pouvait parvenir à trouver que ce tableau de la moisson si constamment célébré par les peintres et par les poètes, fût vraiment grand. C’était, sous un ciel d’un inimitable bleu, des gens dépoitraillés et velus, puant le suint, et qui sciaient en mesure des taillis de rouille."


Céline, Voyage au bout de la nuit Pléiade p. 19 :

"Moi d’abord la campagne, faut que je le dise tout de suite, j’ai jamais pu la sentir, je l’ai toujours trouvée triste, avec ses bourbiers qui n’en finissent pas, ses maisons où les gens n’y sont jamais et ses chemins qui ne vont nulle part. [...] Jamais plus, même si je vivais encore cent ans, je ne me promènerais à la campagne. C’était juré."


Céline, Voyage au bout de la nuit Pléiade p. 168 :

"La forêt n’attend que leur signal pour se mettre à trembler, siffler, mugir de toutes ses profondeurs. Une énorme gare amoureuse et sans lumière, pleine à craquer. Des arbres entiers bouffis de gueuletons vivants, d’érections mutilées, d’horreur. On en finissait par ne plus s’entendre entre nous dans la case. Il me fallait gueuler à mon tour par-dessus la table comme un chat-huant pour que le compagnon me comprît. J’étais servi, moi qui n’aimais pas la campagne."


Céline, Mort à crédit Pléiade p. 544-545 : 

"Plus loin que la route, c’est les arbres, les champs, le remblai, des mottes et puis la campagne... plus loin encore c’est les pays inconnus... la Chine... Et puis rien du tout."


 

dimanche 22 novembre 2020

Proust (ennuis)

 Proust, Albertine disparue : 

"Il y a des moments de la vie où une sorte de beauté naît de la multiplicité des ennuis qui nous assaillent, entrecroisés comme des motifs wagnériens, de la notion aussi, émergente alors, que les événements ne sont pas situés dans l’ensemble des reflets peints dans le pauvre petit miroir que porte devant elle l’intelligence et qu’elle appelle l’avenir, qu’ils sont en dehors et surgissent aussi brusquement que quelqu’un qui vient constater un flagrant délit. Déjà, laissé à lui-même, un événement se modifie, soit que l’échec nous l’amplifie ou que la satisfaction le réduise. Mais il est rarement seul. Les sentiments excités par chacun se contrarient."