Giono, Monologue (Faust au village) :
« Nous avons une grand-route qui vient de très loin et qui va très loin ; elle arrive chez nous par un col, nous traverse en contournant tous nos coteaux et s’en va de chez nous par un autre col très haut d’où elle tombe en plein dans le sud, le midi, le soleil. Pendant qu’elle monte au col, la route qui vient d’ici même et va au canton la coupe à angle droit. »
Giono, Les Âmes fortes :
« Il y a une route qui vient de la Drôme. Elle vient ! Elle en fait des manières pour venir ! À chaque ruisseau, s’il y a seulement quatre travers de doigt d’eau, elle s’y reprend à cinq ou six fois avant de faire un pont. Elle s’approche, elle s’écarte ; enfin, elle traverse ; après avoir eu l’air de dire : à dieu vat ! Elle ramasse tous les peupliers qu’elle trouve. Quand elle arrive à Châtillon, elle en a plus de deux cents à ses trousses. Deux cents, qu’est-ce que je dis ? Plus de deux mille. Elle en a de chaque côté sur cinq kilomètres. Et quand elle est dans Châtillon, cette route-là, qu’est-ce qu’elle y fait ? Comme tout le monde à Châtillon : elle y tourne sur elle-même. »
Giono, Les Âmes fortes :
« Même les rues faisaient prudemment le tour de certaines maisons : des rues pleines d’épiceries, de boucheries, d’artisaneries, de tonneliers et de charrons, brusquement devenaient grises et ne pipaient plus mot. À peine si elles osaient s’approcher de certaines vieilles maisons très dentelées. Elles venaient jusque-là avec de timides écuries à chèvres ou des murs sans aucune ouverture. Elles tournaient sur la pointe des pieds autour des perrons, des bornes et des fenêtres grillagées. C’étaient de vieilles familles. Il n’en restait plus que des chicots.
Ou bien alors, c’était le contraire : la rue faisait bombance autour d’enseignes : 'père et fils' ou 'Marius frères'. Et, en avant la musique ! C’étaient des étalages, des charrettes qu’on chargeait et déchargeait. »