Diderot, Satire première [écrite probablement entre 1773 et 1778] :
« N’avez-vous pas remarqué, mon ami, que telle est la variété de cette prérogative qui nous est propre, et qu’on appelle raison, qu’elle correspond seule à toute la diversité de l’instinct des animaux ? De là vient que sous la forme bipède de l’homme il n’y a aucune bête innocente ou malfaisante dans l’air, au fond des forêts, dans les eaux, que vous ne puissiez reconnaître : il y a l’homme loup, l’homme tigre, l’homme renard, l’homme taupe, l’homme pourceau, l’homme mouton ; et celui-ci est le plus commun. Il y a l’homme anguille ; serrez-le tant qu’il vous plaira, il vous échappera. L’homme brochet, qui dévore tout ; l’homme serpent, qui se replie en cent façons diverses ; l’homme ours, qui ne me déplaît pas ; l’homme aigle, qui plane au haut des cieux ; l’homme corbeau, l’homme épervier, l’homme et l’oiseau de proie. Rien de plus rare qu’un homme qui soit homme de toute pièce ; aucun de nous qui ne tienne un peu de son analogue animal.
Aussi, autant d’hommes, autant de cris divers. »
Starobinski, Une géographie des ramages, Littérature 2011/1 n°161, p. 5 :
« C’est devant l’animalité de l’homme civilisé que s’étonne Diderot [...]. L’homme social est encore une bête, et la société est toujours une forêt, avec toute la diversité des espèces qui la peuplent. Diderot écoute la rumeur du monde humain. Et, dans cette Satire première, il oppose à quelques rares cris du cœur féminins toute une anthropologie zoomorphe, manifestée par une multitude de travers masculins […]. C’est toute la caractérologie animale qui se déploie, telle que Le Brun l’avait codifiée, telle que La Fontaine l’avait exemplifiée. Cette ouverture, qui n’est pas la page la plus illustre de Diderot, révèle toutefois quelques-uns des traits marquants de son écriture : le rapide balancement des mots couplés, le jeu des opposés, puis la mise en mouvement, la liste ou la série qui se déroule et l’entrain énumératif. »
Valéry, Mauvaises pensées, Pléiade t. 2 p. 788 :
« Tous les animaux étant réunis dans l'Homme, et l'Homme, comme construit par souscription de toute la Zoologie, avec quelques contributions de la Botanique et des minéraux […] il est ménagerie ; et il est de singes et de pies, mêlés de fauves, de moutons, etc... En tant qu'interrogeant, il est animal curieux : ce qui se voit si charmant dans l'enfant de trois ans… »
Cocteau, Thomas l'imposteur, Folio p. 65 :
« Tout homme porte sur l'épaule gauche un singe et, sur l'épaule droite, un perroquet. »
note :
Diderot montre chaque homme informé du caractère d’un animal qui lui est comme totémique. Valéry montre chaque homme composé de toutes sortes d’animaux.
Les animaux évoqués par Valéry ne sont pas donnés au hasard. Car singe = imitation ; pie = répétition ; fauves = agressivité ; mouton = lâcheté. Diderot note aussi que le mouton est un totem fréquent. Cocteau choisit lui aussi des animaux imitateurs : singe et perroquet. Différence universelle, inextricable ramage, de par l'universalité même de la tendance mimétique.