samedi 16 septembre 2023

Huysmans (exposition)

Huysmans, lettre à Verlaine

[au moment de l'exposition universelle de 1889, JKH envie le sort de Verlaine, alors en traitement à l'hôpital Broussais] : 

"Vous avez au moins une veine, en restant clos, celle de ne pas voir une ville conquise par les rastaquouères et les Anglais. C'est à vomir pour l'instant ; ce que les spermatozoïdes étrangers enfantent de boules affreuses, hilares et dodues, c'est incroyable ! Les supplices du Saint-Office avaient certainement du bon ! […] Ici (à Paris), c'est pestilentiel et ignoble. Les rues foisonnent de provinciaux, traînant des femmes éperdues et des enfants qui pleurent. Tout cela nez en l'air, regardant les toits, lisant des noms de rues. Le besoin des égorgements se fait sentir. Mais enfin, qu'est ce qu'ils veulent, tous ces gens là ! Il y en avait, hier, au musée du Louvre ; ils sentaient le chien mouillé, souillaient les tableaux de leur haleine. L'un d'eux, chauve et obèse, expliquait les sujets des toiles à une abominable femme fagotée Dieu sait comme, et celle-là, roulait des yeux en gomme liquide et, les pattes sur le ventre, murmurait - C'est vieux ces tableaux, c'est vieux, vieux ! Des massacres."


vendredi 15 septembre 2023

Rousseau (politique)

Rousseau, Dernière réponse à M. Bordes, OC III 90-91 : 

"Si j’étois chef de quelqu’un des peuples de la Nigritie, je déclare que je ferois élever sur la frontière du pays une potence où je ferois pendre sans rémission le premier Européen qui oseroit y pénétrer & le premier Citoyen qui tenteroit d’en sortir. […] On me demandera peut- être quel mal peut faire à l’etat un Citoyen qui en sort pour n’y plus rentrer ? Il fait du mal aux autres par le mauvais exemple qu’il donne, il en fait à lui-même par les vices qu’il va chercher. De toutes manieres c’est à la loi de la prévenir, et il vaut encore mieux qu’il soit pendu que méchant."


jeudi 14 septembre 2023

Kundera (procréation)

Kundera, L'identité § 42 : 

"Pourquoi vivons nous ? Pour procurer à Dieu de la chair humaine. Car la Bible ne nous demande pas, ma chère dame, de chercher le sens de la vie. Elle nous demande de procréer. Aimez-vous et procréez. Comprenez bien : le sens de ce "aimez-vous" ne signifie donc aucunement amour caritatif, compatissant, spirituel ou passionnel, mais veut dire très simplement : "faites l'amour !" "copulez !" ...(il fait sa voix plus douce et se penche vers elle) ..."baisez !" (Tel un disciple dévoué, docilement, la dame le regarde dans les yeux.) C'est en cela et en cela seulement que consiste le sens de la vie humaine. Tout le reste, c'est de la foutaise."


mercredi 13 septembre 2023

Gusdorf (science et technique)

Gusdorf [référence non-retrouvée] : 

"La pensée se convertit en « philosophie expérimentale », la physique se constitue sur la base de l'observation rigoureuse et du raisonnement mathématique. Le primat de la science exacte se fait sentir jusque dans la perspective esthétique, et la religion doit elle même se laisser reporter à l'intérieur du territoire de la simple raison. Le régime d'intelligibilité qui s'annonce avec l'âge classique, au XVIIe siècle, sera le cadre le plus général de la culture moderne ; les péripéties pourront parfois corriger l'allure, introduire de nouvelles valeurs, mais sans parvenir à modifier vraiment le cadre général de la civilisation mécanicienne. Le fait essentiel sera sans doute l'importance croissante de l'élément technique. La technique intervient comme une activité où la science devient opérative par personne interposée. Mais par une sorte de captation d'influence, l'application devient plus importante que les principes ; elle finit par constituer une fin en soi. On peut assister ainsi, à partir du XVIIIe siècle, à la progressive mise en honneur du rapport au monde technique ; la raison, la science, la philosophie lui sont inféodées. 

L'attitude opérative a permis la colonisation de la planète par une conquête méthodique. Au cours des siècles, le nouveau milieu suscité par la technique s'est peu à peu substitué au milieu naturel, dans le développement de la civilisation technicienne qui triomphe aujourd'hui."


mardi 12 septembre 2023

Yonnet (individualisme)

Yonnet, Famille, deux présentations : 


1/ site "Academic"

Famille Tome I : Le recul de la mort ; l'avènement de l'individu contemporain. Gallimard, Paris 2006. ISBN 2-07-075399-9

C'est le premier volume d'un ensemble intitulé «Famille». Yonnet y analyse la place de l'enfant et de l'adolescent, et annonce, pour le deuxième volume, une étude des changements intervenus dans l'existence des femmes. Résumé: Dans les sociétés développées, les enfants qui naissent et leurs mères sont assurés de vivre. La plupart des enfants sont désirés. L'enfant désiré est le point de rencontre du recul de la mort, déplacée vers la vieillesse, et de la réduction de la fécondité. C'est la logique de l'enfant désiré qui façonne l'individu moderne et organise sa psychologie. Il s'y produit une "hypertrophie du moi" et on éduque les enfants pour qu'ils soient capables de produire eux-mêmes leur propre norme. Cela produit beaucoup d'angoisse chez l'enfant, et engendre chez les jeunes des formes de désespoir que Yonnet a finement décrites. Il en vient à écrire qu'"il n'y a pas d'enfant du désir véritablement heureux".



2/ résumé éditeur

Du milieu du XVIIIe siècle à nos jours, la mortalité maternelle a été divisée par 131, et la mortalité infantile par 69. A présent, dans les sociétés développées, les enfants qui naissent et leurs mères sont assurés de vivre. L'enfant désiré est le point de rencontre de ce repli de la mort, déplacée vers la vieillesse, et d'une longue histoire de contention puis de réduction de la fécondité, un processus propre à l'Europe de l'Ouest, marqué par trois stades : le recul de l'âge au mariage; la chute de la fécondité à l'intérieur du mariage (réponse au recul de la mortalité infanto-juvénile) ; la mise au point de techniques efficaces de prévention des naissances non désirées. Alors, la société n'a plus besoin du mariage comme opérateur de la réduction de la fécondité et il n'est plus nécessaire d'interdire les relations sexuelles précoces pour garantir la collectivité contre l'excès des naissances. 

C'est la logique de l'enfant désiré qui façonne l'individu moderne et organise sa psychologie. De « cellule de base » de la société, la famille devient la « cellule de base » de l'individu. 

Articulant les savoirs de nombreuses disciplines, cet ouvrage, qui rend intelligible ce qu'on appelle l'individualisation, en constitue, à tout point de vue, une nouvelle définition. 



lundi 11 septembre 2023

Céline + Ionesco (identité)

Céline, Voyage au bout de la nuit : 

"Tout notre malheur vient de ce qu’il nous faut demeurer Jean, Pierre ou Gaston coûte que coûte pendant toutes sortes d’années. Ce corps à nous, travesti de molécules agitées et banales, tout le temps se révolte contre cette farce atroce de durer. Elles veulent aller se perdre nos molécules, au plus vite, parmi l’univers ces mignonnes ! Elles souffrent d’être seulement « nous », cocus d’infini. On éclaterait si on avait du courage, on faille seulement d’un jour à l’autre. Notre torture chérie est enfermée là, atomique, dans notre peau même, avec notre orgueil."


Ionesco, Journal en miettes Folio p. 69-70 :

"Ah, si mes molécules pouvaient se séparer les unes des autres de leur plein gré. C'est la cohérence de mes molécules qui est responsable de mon angoisse. Trouver les points de suture, désarticuler, détacher les ligatures comme on dénoue les ficelles. Si j'étais deficelé. Ce serait facile. Comment dénouer ce noeud, comment ne plus vouloir. Ou bien vouloir être, ou bien que je veuille être l'eau que l'on peut mettre dans tous les vases, qu'on peut jeter à tous les vents... ou une vapeur. Ou le vent : ces choses-là ont l'air de moins souffrir que les autres quand elles se désintègrent, elles n'ont pas de noeuds. Moi, je ne suis que noeuds noués. Je ne suis fait que de noeuds qui résistent, qui veulent être des noeuds. Je ne peux pas, je ne veux pas, je ne peux pas, je ne veux pas."



dimanche 10 septembre 2023

Ionesco (littérature)

Ionesco, Journal en miettes Folio p. 126 : 

[déjà mis en ligne partiellement le 29 mai 2023]

"Sa personnalité était rayonnante, j'étais sensible à son éclat, mais je ne l'avais jamais vraiment approché. D'ailleurs, on n'arrive pas à connaître quelqu'un par la conversation, ni même en le tenant par la main, ni même en marchant coude à coude. C'est à travers un texte, c'est-à-dire à travers une confession, c'est-à-dire en plongeant dans l'univers, c'est-à-dire dans les abîmes d'un autre que la communion peut s'accomplir. Voilà donc tout de même une justification de la littérature. Ce postulat n’est plus une banalité, puisque si on l’affirme souvent on le réalise rarement. Seul à seul avec une oeuvre, seul à seul avec l’autre, un autre qui n’est même pas au courant de cette expérience, de cette approche, qui ne connaît pas qu’il est connu, véritablement, profondément : le monde de celui-là devient le monde de celui-ci. Intimité profonde, discrète, totale."