Towles, Amor, Les règles du jeu, préface, traduction Nathalie Cunnington :
"Ces images [de Walker Evans] saisissaient une certaine humanité nue. Perdus dans leurs pensées, masqués par l’anonymat du métro, inconscients de l’objectif braqué sur eux, beaucoup de ces sujets avaient sans s’en rendre compte laissé voir leur moi intérieur.
Quiconque a pris le métro deux fois par jour pour aller gagner sa croûte sait comment les choses se passent : quand vous montez, vous affichez le même masque que celui que vous utilisez auprès de vos collègues et de vos connaissances. Vous l’arborez en passant le tourniquet et les portes coulissantes, si bien que les autres passagers savent ce que vous êtes – effronté ou timide, amoureux ou indifférent, friqué ou fauché. Mais voilà que vous trouvez une place assise et le métro repart ; il s’arrête à une station, puis une autre ; les gens descendent, montent. Et sous l’effet de bercement du wagon, le masque que vous avez soigneusement appliqué sur votre visage se décolle. Le surmoi se dissout à mesure que vos pensées, flottant sans but précis, s’attardent sur un souci, sur un rêve ; plus exactement, il se laisse emporter par cette ambiance hypnotique dans laquelle même les soucis et les rêves reculent pour laisser le champ libre au silence paisible du cosmos.
Cela nous arrive à tous. La seule différence, c’est le temps que ça prend. Deux arrêts pour certains. Trois pour d’autres. 68th Street. 59th. 51st. Grand Central. Quel soulagement, ces quelques minutes où l’on baisse la garde, où le regard divague, où l’on vit la seule véritable consolation qu’offre l’isolement."
For, in fact, the pictures captured a certain naked humanity. Lost in thought, masked by the anonymity of their commute, unaware of the camera that was trained so directly upon them, many of these subjects had unknowingly allowed their inner selves to be seen.
Anyone who has ridden the subway twice a day to earn their bread knows how it goes: When you board, you exhibit the same persona you use with your colleagues and acquaintances. You’ve carried it through the turnstile and past the sliding doors, so that your fellow passengers can tell who you are—cocky or cautious, amorous or indifferent, loaded or on the dole. But you find yourself a seat and the train gets under way; it comes to one station and then another; people get off and others get on. And under the influence of the cradlelike rocking of the train, your carefully crafted persona begins to slip away. The superego dissolves as your mind begins to wander aimlessly over your cares and your dreams; or better yet, it drifts into an ambient hypnosis, where even cares and dreams recede and the peaceful silence of the cosmos pervades.
It happens to all of us. It’s just a question of how many stops it takes. Two for some. Three for others. Sixty-eighth Street. Fifty-ninth. Fifty-first. Grand Central. What a relief it was, those few minutes with our guard let down and our gaze inexact, finding the one true solace that human isolation allows.