Valéry, L'Idée fixe, éd. Pochothèque t. 2 p. 221-223 :
"— […] Vous êtes un de ces sujets que l’on ne sait par quel bout prendre... Vous êtes plein de défenses... virtuelles. Je parie qu’au moindre contact...
— Avant tout contact, à la seule feinte de contact, je hurle... J’entre en transe.
— C’est bien cela. C’est commode ! Ah... Le physique et le moral, chez vous, se tiennent... On peut le dire. Il n’y a qu'à vous voir.
— Et qu’est-ce que l’on voit ?
— Un visage nerveux, ravagé... instant, dirais-je, où il y a du jeune et du vieux étrangement composés. On y lit tous les temps du verbe Être simultanément excités. Vous avez le faciès très accidenté ; et l’œil, tantôt plus présent, tantôt plus absent qu’il ne faut... Savez-vous à quoi vous me faites songer ?... […]
— Avez-vous lu Notre-Dame-de-Paris ?
— De Hugo ?... Il y a... cent ans.
— Moi aussi. J’ai gardé un souvenir... Vous rappelez-vous l’étrange exercice de vol à la tire auquel se livrent les truands et filous dans la Cour des Miracles ?
— Je ne vois pas le rapport...
— Ces messieurs s’entraînent à subtiliser la bourse d’un mannequin pendu, et tout cousu de sonnettes et de grelots. C’est très difficile. Au moindre mouvement, le pendu réagit ; en avant la musique ! Le coup est manqué. […] Je vous vois tout garni de clochettes... nerveuses. Un souffle, un rien, vous fait sonner toute une musique de réactions et d’idées. […] Vous réagissez, vous vous défendez par un recours aux abstractions, vous abusez de précisions et de définitions. L’attention intellectuelle vous sert d’isoloir…"