samedi 26 août 2023

Aymé (immortalité)

Aymé, La Vouivre p. 224-225 : 

"Une fille qui ne meurt pas, ce n'est pas à faire envie ; quand on est de faire une chose, si on n'en voit pas venir le bout, on ne sait pas ce qu'on fait et on ne fait autant dire rien. […] Je la regardais qui tricotait sa chaussette. Je me disais que si elle n'avait pas eu déjà dans l'idée ce que serait le bout de la chaussette, son travail n'aurait pas ressemblé à grand'chose. Je me disais aussi que la vie, c'est pareil, que pour bien la mener, il faut penser à la fin. […] La Vouivre rêvait à son destin uni et informe dont elle ne disposerait jamais. Il lui semblait avec évidence qu'Arsène fût maître du sien comme l'était sa mère de tricoter sa chaussette. Rien de plus désirable, de plus rafraîchissant que de porter ainsi sa fin en soi-même et d'y travailler maille après maille."


vendredi 25 août 2023

Goncourt (paysanne)

Goncourt, Journal, sept. 1862, éd. Cabanès t. 3 p. 380 : 

"C’est prodigieux comme Millet a saisi le galbe de la femme de labeur et de fatigue, courbée sur la glèbe. Il a trouvé un dessin carré, un contour fruste qui rend ce corps-paquet, où il n’y a plus rien des rondeurs provocantes de la forme féminine, ce corps que le travail et la misère ont aplati comme avec un rouleau, n’y laissant ni gorge ni hanches, et qui ont fait de cette femme un ouvrier sans sexe, habillé d’un casaquin et d’une jupe, dont les couleurs ne semblent que la déteinte des deux éléments entre lesquels ce corps vit, – en haut bleu comme le ciel, en bas brun comme la terre."     


Goncourt, Manette Salomon LXXXIII (fin) : 

"Souvent Grescent jetait une scène, quelque scène champêtre, les semailles, la moisson, la récolte, – un de ces travaux nourriciers de l'homme dont il essayait d'indiquer la grandeur et l'antique sainteté avec l'austère simplicité des poses, avec la rondeur d'une ligne rudimentaire, l'espèce de style fruste d'une humanité primitive, faisant de la paysanne, de la femme de labour, courbée sur la glèbe, de ce corps où le labeur du champ a tué la femme, la silhouette plate et rigide habillée comme de la déteinte des deux éléments où elle vit : - du brun de la terre, du bleu du ciel."


jeudi 24 août 2023

Fénelon (images)

Fénelon, Dialogue sur l'éloquence p. 52-53 : 

"La poésie n'est autre chose qu'une fiction vive qui peint la nature. Si on n'a ce génie de peindre, jamais on n'imprime les choses dans l'âme de l'auditeur ; tout est sec, languissant, et ennuyeux. Depuis le péché originel, l'homme est tout enfoncé dans les choses sensibles ; c'est là son grand mal : il ne peut être longtemps attentif à ce qui est abstrait. Il faut donner du corps à toutes les instructions qu'on veut insinuer dans son esprit, il faut des images qui l'arrêtent : de là vient que, sitôt après la chute du genre humain, la poésie et l'idolâtrie, toujours jointes ensemble, firent toute la religion des anciens […].La poésie, c'est-à-dire la vive peinture des choses, est comme l'âme de l'éloquence."


mercredi 23 août 2023

Staël (Vienne)

Staël (G. de), De L’Allemagne I, chap. VII : 

"C'est surtout au Prater qu'on est frappé de l'aisance et de la prospérité du peuple de Vienne. Cette ville a la réputation de consommer en nourriture plus que toute autre ville d'une population égale, et ce genre de supériorité un peu vulgaire ne lui est pas contesté. On voit des familles entières de bourgeois et d'artisans qui partent à cinq heures du soir pour aller au Prater faire un goûter champêtre aussi substantiel que le dîner d'un autre pays, et l'argent qu'ils peuvent dépenser là prouve assez combien ils sont laborieux et doucement gouvernés. Le soir, des milliers d'hommes reviennent, tenant par la main leurs femmes et leurs enfants ; aucun désordre, aucune querelle ne trouble cette multitude dont on entend à peine la voix, tant sa joie est silencieuse ! Ce silence cependant ne vient d'aucune disposition triste de l'âme, c'est plutôt un certain bien-être physique, qui, dans le midi de l'Allemagne, fait rêver aux sensations, comme dans le nord aux idées. L'existence végétative du midi de l'Allemagne a quelques rapports avec l'existence contemplative du nord : il y a du repos, de la paresse et de la réflexion dans l'une et l'autre."


mardi 22 août 2023

Parain (industrie)

Parain, "De la France", in Esprit 1935  : 

 "Un homme comme Péguy, à l'époque où il vivait pouvait avoir confiance dans l'industrie. […] Nous, nous ne le pouvons plus. C'est l'industrie qui provoque les maux dont nous souffrons, non parce qu'elle est mal organisée, mais parce qu'elle est industrie. Toute cette expérience de nos vingt dernières années, Péguy ne pouvait ni la connaître ni la deviner. On ne peut plus avoir cet espoir d'un monde industriel sain et organisé qui serait un monde intelligent. Car l'industrie entraîne les hommes à croire que le calcul renferme toute la pensée ; elle n'est pas une volonté naturelle de possession, mais une volonté inhumaine de puissance."


lundi 21 août 2023

La Fayette (phrase)

Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves :

"Quand elle pensait encore que monsieur de Nemours voyait bien qu'elle connaissait son amour, qu'il voyait bien aussi que malgré cette connaissance elle ne l'en traitait pas plus mal en présence même de son mari, qu'au contraire elle ne l'avait jamais regardé si favorablement, qu'elle était cause que monsieur de Clèves l'avait envoyé quérir, et qu'ils venaient de passer une après-dînée ensemble en particulier, elle trouvait qu'elle était d'intelligence avec monsieur de Nemours, qu'elle trompait le mari du monde qui méritait le moins d'être trompé, et elle était honteuse de paraître si peu digne d'estime aux yeux même de son amant."


dimanche 20 août 2023

Himes (déjeuner)

Himes, La Reine des pommes chap. 5 :

"Ayant quitté Jackson, Goldy se rendit chez lui pour déjeuner en compagnie de la Grande Kathy et de Lady Gitane. Ils firent honneur au jambon cuit au four accompagné de bouillie de maïs, au plat de haricots-gombo et de maïs à l'étuvée, et aux petits pains à la mode de Géorgie. Ils terminèrent leur repas par une tarte aux patates douces, arrosées de vin de muscat. Mère l'Oie les servait en silence. 

— Comment ça se présente en ville ?, demanda la Grande Kathy à Goldy. 

— C’est le calme et la sérénité, répondit Goldy. Personne, à ma connaissance, ne s'est fait buter, ni couper en morceaux, ni voler, ni écraser ce matin. Mais y a une nouvelle équipe dans les parages qui pratique le coup de la Levure.    


When Goldy left Jackson he went home to have breakfast with Big Kathy and Lady Gypsy. They were having baked ham, lye hominy, stewed okra and corn, Southern biscuits, and finished with sweet-potato pie and muscatel wine. Mother Goose served them silently.

“How does it look ouside?” Big Kathy asked Goldy.

“Cool and clear,” Goldy said. “No one has been killed, carved up, robbed, or run over this morning, to my knowledge. But there’s some new studs in town cooking with The Blow.”