samedi 30 novembre 2024

Zeh (enfants)

Zeh (Juli), Nouvel An [2018] trad. Labourie  :

"Les enfants sont comme ils sont. Depuis leur plus jeune âge, Jonas joue à la tractopelle et Bibbi aux poupées, alors que ni Henning ni Theresa ne correspondent aux modèles traditionnels de l’homme et de la femme. Et ils réclament maman. Bibbi et Jonas n’ont que faire des règles de l’émancipation moderne. Ils veulent maman parce que c’est maman. [...] Si le comportement des parents détermine le caractère des enfants, c’est à cause de Henning que les réclamations de Bibbi et Jonas tapent sur le système de Theresa. Voilà pourquoi Theresa est à bout de nerfs voire, certains jours, au bord de l’explosion du matin au soir. Parce que le fait que les enfants n’en aient que pour maman est à ses yeux la preuve que Henning n’assume pas pleinement son rôle de père. Alors que c’est le cas. Il assume. Il en est convaincu. Ce n’est pas sa faute si les enfants ne veulent pas de lui."


vendredi 29 novembre 2024

Ferrari (scène)

Ferrari, Sermon sur la chute de Rome (1° chap) : 

"Ils ont rampé cette nuit-là l'un sur l'autre dans l'obscurité de leur chambre, sans faire de bruit pour ne pas alerter Jean-Baptiste et Jeanne-Marie qui faisaient semblant de dormir, allongés sur leur matelas dans un coin de la pièce, le coeur battant devant le mystère des craquements et des soupirs rauques qu'ils comprenaient sans pouvoir le nommer, pris de vertige devant l'ampleur du mystère qui mêlait si près d'eux la violence à l'intimité, tandis que leurs parents s'épuisaient rageusement à frotter leurs corps l'un à l'autre, tordant et explorant la sécheresse de leurs propres chairs pour en ranimer les sources anciennes taries par la tristesse, le deuil et le sel et puiser, tout au fond de leurs ventres, ce qu'il y restait d'humeurs et de glaires, ne serait-ce qu'une trace d'humidité, un peu du fluide qui sert de réceptacle à la vie, une seule goutte, et ils ont fait tant d'efforts que cette goutte unique a fini par sourdre et se condenser en eux, rendant la vie possible, alors même qu'ils n'étaient plus qu'à peine vivants."


jeudi 28 novembre 2024

Romains (incomplet)

Romains, Les Hommes de bonne volonté, préface, éd. Bouquins t. 1 p. 9 : 

"Ne nous arrive-t-il pas, même à ceux d'entre nous qui ont le plus de foi en l'avenir, de nous demander, en regardant autour de nous : « Où cela va-t-il ? » et de trouver ce monde actuel « bien déroutant » ? Je désire même qu'on s'aperçoive, en me lisant, que certaines choses ne vont nulle part. Il y a des destinées qui finissent on ne sait où, comme les oueds dans le sable. Il y a les êtres, les entreprises, les espérances « dont on n'entend plus parler ». Bolides qui se pulvérisent ou comètes apériodiques du firmament humain. Tout un pathétique de la dispersion, de l'évanouissement, dont la vie abonde, mais que les livres se refusent presque toujours, préoccupés qu'ils sont, au nom de vieilles règles, de commencer et de finir le jeu avec les mêmes cartes"


mercredi 27 novembre 2024

Gautier (bisexe)

Gautier, Mademoiselle de  Maupin : 

"Ma chimère serait d’avoir tour à tour les deux sexes pour satisfaire à cette double nature : – homme aujourd’hui, femme demain, je réserverais pour mes amants mes tendresses langoureuses, mes façons soumises et dévouées, mes plus molles caresses, mes petits soupirs mélancoliquement filés, tout ce qui tient dans mon caractère du chat et de la femme ; puis, avec mes maîtresses, je serais entreprenant, hardi, passionné, avec les manières triomphantes, le chapeau sur l’oreille, une tournure de capitan et d’aventurier. Ma nature se produirait ainsi tout entière au jour, et je serais parfaitement heureuse, car le vrai bonheur est de se pouvoir développer librement en tous sens et d’être tout ce qu’on peut être. 

Mais ce sont là des choses impossibles, et il n’y faut pas songer."


mardi 26 novembre 2024

Rousseau (séparation)

Rousseau, 4° lettre à Malesherbes : 

"J'ai un cœur très aimant, mais qui peut se suffire à lui-même. J'aime trop les hommes pour avoir besoin de choix parmi eux ; je les aime tous, et c'est parce que je les aime que je hais l'injustice ; c'est parce que je les aime que je les fuis, je souffre moins de leurs maux quand je ne les vois pas. Cet intérêt pour l'espèce suffit pour nourrir mon cœur ; je n'ai pas besoin d'amis particuliers, mais, quand j'en ai, j'ai grand besoin de ne les pas perdre, car, quand ils se détachent, ils me déchirent."


rappel : 

https://lelectionnaire.blogspot.com/2021/05/woolf-nabokov-separation-amoureuse.html


lundi 25 novembre 2024

Goncourt (hôtels)

Goncourt, Journal 28 décembre 1865, éd. Bouquins t. 1 p. 1217 :

"On sent là-dedans la banalité, l’impropriété, la chose à tous. Il y a un ordre froid, une symétrie inanimée, rien ne flâne, rien ne traîne, rien ne met aux meubles la trace d’un hier à vous, un livre, un objet oublié. 

Au fond c’est nu, garni du strict nécessaire, des éléments du mobilier, sans le luxe et la distraction de la moindre inutilité, à peine une gravure au mur, pas un portrait, pas un souvenir, pas un de ces objets personnels, pour ainsi dire, à un lieu. 

Les meubles ont la forme courante des ameublements à la grosse, écoulés aux commissaires-priseurs ; ils ont les recouvrements tristes des couleurs insalissables. La cheminée n’est pas le foyer et n’a pas de cendres. 

Voilà les mélancolies d’une chambre d’hôtel."


dimanche 24 novembre 2024

Duhamel (dieu)

Duhamel, Les Pasquier t. 6 : Les Maîtres p. 724 : 

"Je suis président de la Société des Etudes rationalistes. Cela ne signifie aucunement que j'oublie mes origines chrétiennes. Je ne crois pas en Dieu, Pasquier, mais le Christ est la plus belle œuvre de l'humanité. Des millions et des millions d'hommes ont mis des milliers d'années pour faire un Dieu, pour composer, de tous leurs rêves et de toutes leurs espérances, un Dieu. C'est un phénomène respectable. Ceux qui ne le comprennent pas sont de médiocres observateurs. Aujourd'hui, le christianisme est en péril. Il s'est encombré de trop de choses. Il traîne avec soi toutes les fables orientales de l'Ancien Testament, comme si l'on devait sauver tout ce sublime bric-à-brac. C'est une grande faute. Il faut sauver l'essentiel. Il faut sauver cette idée d'un dieu humain et charitable qui s'est cristallisée dans les âmes au prix de tant de souffrances. Et, pour sauver l'essentiel du christianisme, s'il faut consentir à sacrifier quelques vieilles légendes barbares, vraiment, qu'est-ce que cela peut faire ?"