Duteurtre, À propos des vaches, rééd. 2003 p. 13-14 :
"Dans ces fermes de montagne aujourd'hui disparues, trois à quatre vaches passaient l'hiver silencieusement. Des brins d'herbe sèche pendaient au plafond, entre les planches du grenier à foin. La poussière s'accrochait aux toiles d'araignée sous les poutres. Le temps semblait plus lent dans ces antres obscurs où l'on entrait timidement pour entendre seulement des respirations. De temps à autre, l'une des trois ou quatre lourdes créatures se levait. Une autre se couchait. Lentement. Deux fois par jour, au rythme de la traite, elles reprenaient leur dialogue muet avec la fermière aux mains nues, assise contre leur ventre sur un tabouret, tirant sur les pis pour jeter des traits de lait vers le fond du seau. Une très faible ampoule éclairait les bêtes. Le fermier donnait quelques coups de fourche dans l'herbe, pour garnir la mangeoire. Bruit sec des sabots de bois. Gloussement de quelques poules agglutinées dans l'ombre, sur une barrique. Mêlé aux autres créatures, l'homme sortait de l'étable, poussant une brouette de fumier qu'on aurait dite « en fumier », tant la matière dégoulinante d'herbe et d'excréments avait fini par sculpter l'objet. La femme portait le seau de lait chaud dans la cuisine. La lumière s'éteignait. Les vaches replongeaient dans l'obscurité silencieuse et chaude, en attendant la saison des pâturages."