Nabokov a repris un très beau motif visuel que Flaubert avait utilisé dans une phrase merveilleusement galbée :
Flaubert
Madame Bovary, I, VI :
"Elle frémissait, en soulevant de son haleine le papier de soie des gravures, qui se levait à demi plié et retombait doucement contre la page."
Nabokov
1.
Sounds : "Your eyes were limpid, as if a pellicle of silken paper had fluttered off them - the kind that sheathes illustrations in precious books."
Bruits (Quarto) : "Tes yeux étaient clairs, comme si une feuille de papier de soie, celles qui recouvrent les illustrations des livres précieux, en était partie."
2.
Glory chap. 9 : "All this was taking place at a garden table on the terrace before the hotel, early in the morning. The day promised to be lovely; the cloudless sky still had a hazy cast, as a sheet of gauze paper sometimes covers an exceptionally vivid frontispiece in an expensive edition of fairy tales. Martin carefully removed this translucent sheet, and there, down the white steps, swinging her low hips ever so slightly, wearing a bright-blue skirt across which an orderly ripple ran back and forth as, stepping down with calculated unhurriedness, first one foot and then the other extended the tip of its polished shoe, rhythmically balancing her brocaded handbag and already smiling, her hair parted on one side, came a limpid-eyed, slender-necked woman with large black earrings that also swung in rhythm with her descent."
L'Exploit chap. 9 (trad. Pléiade) : "La scène se passait autour d'une table de jardin sur la terrasse devant l'hôtel, un matin de bonne heure. La journée promettait d'être belle ; le ciel sans nuages gardait encore un voile de brume, telles ces feuilles de papier de soie qui recouvrent parfois les frontispices aux couleurs exceptionnellement vives dans des éditions de luxe de contes de fées. Martin enleva avec précaution cette feuille translucide et là-bas, sur les marches blanches, balançant imperceptiblement ses hanches basses drapées d'une jupe bleu vif qui ondoyait d'avant en arrière tandis qu'elle descendait avec une lenteur calculée, pointant à chaque marche le bout de sa chaussure vernie, balançant en rythme son sac à main de brocart, les lèvres esquissant déjà un sourire, les cheveux ramenés sur le côté, arrivait une femme aux yeux limpides, au cou de cygne, avec de grandes boucles d'oreilles noires qui se balançaient également au rythme de ses pas."
Glory ch. 10 : "Upon her, upon that frontispiece, which, after the removal of the gauze paper, had proved to be a little coarse, a little too gaudy, Martin replaced the haze and through it the colors reassumed their mysterious charm."
L'Exploit ch. 10 (Pléiade) : "Sur elle, sur ce frontispice qui, après le retrait du papier de soie, était apparu un peu grossier, un peu trop coloré, Martin remit le voile, et, à travers lui, les couleurs reprirent leur charme mystérieux."
3.
Laughter in the dark ch. 28 : "A few days later he woke up earlier than usual, threw open the shutters, smiled at the tender blue sky and at the soft green slopes, luminous yet hazy, as if it were all a bright frontispiece under tissue paper, and he felt a strong longing to climb and wander, and to breathe the thyme-scented air."
Rire dans la nuit chap 28 (Pléiade) : "Quelques jours plus tard, il se réveilla plus tôt que d'habitude, ouvrit grands les volets, adressa un sourire au ciel bleu pâle et aux coteaux vert tendre, lumineux bien que noyés dans la brume, comme si tout cela était un éclatant frontispice derrière une feuille de papier de soie, et il eut très envie d'aller se promener sur les hauteurs pour respirer l'air embaumé de thym."
4.
Lolita, 1,5 : "The days of my youth, as I look back on them, seem to fly away from me in a flurry of pale repetitive scraps like those morning snow storms of used tissue paper that a train passenger sees whirling in the wake of the observation car."
Lolita, 1, 5 (Couturier) : "Quand je repense à ma jeunesse, j'ai l'impression que les jours s'enfuient loin de moi en un tourbillon sans fin de pâles lambeaux pareils à ces blizzards matinaux de papiers de soie chiffonnés que le voyageur voit voler en spirale dans le sillage du wagon panoramique."
Lolita, I, 5, (Kahane) : "« Quand je me retourne vers le passé, les mois et les années de ma jeunesse semblent filer au vent du souvenir errant en une nuée de lambeaux identiques et pâles, telles ces tempêtes matinales de papiers chiffonnés que le voyageur voit tourbillonner dans le sillage du train. »
5.
Pnin, III, VI : "whereupon it shed a pocket comb, a Christmas card, Pnin’s notes, and a gauzy wraith of tissue paper, which descended with infinite listlessness to Pnin’s feet and was replaced by Mr. Case on the Great Seals of the United States and Territories."
Pnine III, VI, Chrestien : "... il en tomba un peigne de poche, une carte de Noël, les notes de Pnine, et un fantôme de papier soie transparent, qui descendit avec une nonchalance infinie jusqu’aux pieds de Pnine pour être replacé par Mr. Case sur les Grands Sceaux des Etats-Unis et des territoires."
Pnine III, VI, Couturier : "... ce qui entraîna la chute d'un peigne de poche, d'une carte de Noël, de la fiche de Pnine et du spectre vaporeux d'un bout de papier de soie qui retomba avec une nonchalance infinie aux pieds de Pnine, Mr Case le replaçant aussitôt sur les Grands Sceaux des États-Unis et des Territoires."
6.
Speak Memory 10 1 : "The edition I had (possibly a British one) remains in the stacks of my memory as a puffy book bound in red cloth, with a watery-gray frontispiece, the gloss of which had been gauzed over when the book was new by a leaf of tissue paper. I see this leaf as it disintegrated - at first folded improperly, then torn off - but the frontispiece itself, which no doubt depicted Louise Pointdexter’s unfortunate brother (and perhaps a coyote or two, unless I am thinking of The Death Shot, another Mayne Reid tale), has been so long exposed to the blaze of my imagination that it is now completely bleached (but miraculously replaced by the real thing, as I noted when translating this chapter into Russian in the spring of 1953, and namely, by the view from a ranch you and I rented that year."
Autres rivages (Pléiade) 10-1 : "L'édition que j'avais (peut-être bien une édition anglaise) demeure dans les rayonnages de ma mémoire comme un livre bouffi relié en toile rouge, avec un frontispice gris déteint, dont l'éclat était voilé, quand le livre était neuf, par une feuille de papier de soie. Je vois cette feuille en train de se désagréger - d'abord malencontreusement pliée puis arrachée -, mais le frontispice lui-même, qui représentait sans doute le malheureux frère de Louise Pointdexter (et peut-être un ou deux coyotes, à moins que je ne confonde avec Le Coup de fusil mortel, autre histoire de Mayne Reid), a été si longtemps exposé aux feux de mon imagination qu'il est à présent complètement décoloré (mais miraculeusement remplacé par la chose en soi, ainsi que j'en fis la remarque en traduisant ce chapitre en russe au cours du printemps 1953, c'est-à-dire par la vue qu'on avait depuis un ranch que toi et moi avions loué cette année-là."