samedi 22 juin 2024

Cela (vitrine)

Cela (Camilo José), La Ruche, traduction Astor, Gallimard, coll. L'Imaginaire p. 70-71 : 

"Martin Marco s'arrête à la devanture d'un magasin d'appareils sanitaires qui se trouve dans la rue Sagasta. Le magasin resplendit comme une bijouterie, ou comme le salon de coiffure d'un grand hôtel, et les lavabos ont l'air de lavabos de l'autre monde, de lavabos du paradis, avec leurs robinets flambants, leur faïence polie et leurs miroirs à l'éclat transparent. Il y a des lavabos blancs, des lavabos verts, des roses, des jaunes, des violets, des noirs, des lavabos de toutes les couleurs. On fait de ces trucs ! Il y a des baignoires qui reluisent comme des bracelets de brillants, des bidets avec un tableau de bord comme une automobile, de luxueuses cuvettes de W.-C. à double couvercle, surbaissées et ventrues, si élégantes, où l'on doit pouvoir sûrement appuyer le coude, où l'on peut même placer quelques livres soigneusement choisis et richement reliés : Hölderlin, Keats, Valéry, pour les cas où la constipation requiert une compagnie; Rubén [Dario], Mallarmé, surtout Mallarmé, pour les dérangements intestinaux. Quelle saloperie ! 

Martin Marco sourit, comme s'il faisait amende honorable, et s'éloigne de la vitrine."



Martin Marco se para ante los escaparates de una tienda lavabos que hay en la Calle de Sagasta. La tienda luce como una joyería o como la peluquería de un gran hotel, y los lavabos parecen lavabos del otro mundo, lavabos del Paraíso, con sus grifos relucientes, sus lozas tersas y sus nítidos,  purísimos espejos. Hay lavabos blancos, lavabos verdes,  rosa, amarillos, violeta, negros; lavabos de todos los colores. ¡ También es ocurrencia ! Hay baños que lucen hermosos como pulseras de brillantes, bidets con un cuadro de mandos como el de un automóvil, lujosos retretes de dos tapas y de ventrudas, elegantes cisternas bajas donde seguraramente se puede apoyar el codo, se pueden incluso colocar algunos libros bien seleccionados, encuadernados con belleza: Hólderlin, Keats, Valéry, para los casos en que el estreñimiento precisa de compañía; Rubén, Mallarmé, sobre todo Mallarmé, para las descomposiciones de vientre. ¡ Que porquería ! 


vendredi 21 juin 2024

Romains (pensées)

Romains (J.), Lucienne Livre de Poche p. 232 :

"Je me mis à imaginer un charretier qui mène ses chevaux, au matin, le long d'une route. Il a bu du vin blanc. Il marche entre deux lignes de peupliers encore sans feuilles, mais verdissant déjà. Il ne pense à rien ; mais il est suspendu à cent pensées bien plus douces de ne pas lui appartenir. Il n'a que l'ombre et le reflet de cent pensées qui passent au-dessus de lui, arrondies et légères comme ces nuages que je vois là-haut, bien meilleures de n'être pas ses pensées à lui, comme si la route et le vin les avaient rendues universelles."


jeudi 20 juin 2024

Romains (curiosité)

Romains, Le Dieu des corps Livre de Poche p.17-18 : 

"J'ai eu de la peine à faire de mon élan vers la science pure un enthousiasme pour la carrière scientifique. Je m'aperçus, en m'en approchant, que si elle s'accommode à la rigueur de hautes qualités intellectuelles, elle exige qu'on y joigne des qualités tout autres : le sentiment de la hiérarchie, un arrivisme patient et sournois, et la haine de l'imprévu. Bref une combinaison de l'esprit fonctionnaire et de l'esprit bovin. Je ne crois pas que j'aurais été capable de labourer sans distraction les cinq cents mètres carrés d'une concession scientifique ordinaire. Je n'aurais pas su éteindre en moi l'esprit de curiosité qui, s'il est à l'origine de toute science, n'est pas moins déplacé chez un savant officiel que l'esprit des catacombes chez un prélat romain."


mercredi 19 juin 2024

Romains (deux aspects de la modernité)

Romains (J.), Les Amours enfantines, HBV p. 484 : 

"Comme le corps devient précieux dans sa jeune gloire irréparable ! Il ne se résigne plus à l'injure ni à l'effacement. Il médite quelque triomphe futur ; un temps qui serait pour lui celui de la revanche et de l'ostentation. Dans les vêtements de 1908, le corps nu des jeunes femmes commence à remuer d'impatience comme le serpent dans sa peau morte.

Autos Ford à 6900. Aciers au vanadium. Qu'est-ce que le vanadium ? Peu importe. L'âme de maintenant est de plain-pied avec ces mystères-là. Le vanadium, c'est l'angustura dans l'apéritif ; c'est la morsure dans la volupté. L'acier au vanadium, c'est de l'acier qu'on surexcite. Il faut que tout se surmonte, se dépasse. Il faut faire prendre à toute chose la gorgée d'alcool qui la soûlera."


mardi 18 juin 2024

Romains (Cromedeyre)

Romains, Cromedeyre-le-vieil [1920] :


"Le village est serré comme une mie de seigle ; 

Comme si l'on avait coiffé le roc brillant 

D'un rond de pâte qui aurait cuit là-dessus. [...]

Je vous défierais de distinguer les maisons. 

Elles ont comme pénétré l'une dans l'autre. 

Il n'y a là-dedans qu'une seule ruelle 

Qui se replie et se tortille à la façon

D'un trou de chenille sous l'écorce. [...]

Et ces arbres ne sont pas à nous 

Par l'effet de quelque droit d'achat. 

Par un griffonnage de notaire. [...]

Ils sont à nous parce que nos pères, 

Jadis, les ont plantés, un à un. 

Dans un terroir qui ne connut point 

D'autre tenancier que Cromedeyre. [...]

Cromedeyre tout entier est une seule maison. [...] 

Car c'est Cromedeyre entier qui est son intérieur. [...] 

Cromedeyre est comme un seul homme. 

Un seul homme n'a pas le dégoût de sa propre odeur 

Et ne se méfie point de ce qui luit dans son regard. [...] 

Cromedeyre est une chair unique. [...]

Il existe un oubli qui n'est pas perte de mémoire. 

L'on se souvient alors de sa vie et du monde entier 

Avec une espèce de vivacité scintillante. 

Mais plus rien n'est douloureux ; tout s'élance en allégresse. [...]

Tout communique et se pénètre 

Dans l'épaisseur de Cromedeyre. [...]

Cromedeyre est en train de refaire un dieu."


lundi 17 juin 2024

Romains (confession)

Romains (J.), Les Superbes (HBV 3) : 

"Si Marie n'était pas fâchée d'esquiver la confession, elle n'en était pas moins travaillée du besoin de se confier. 

La confidence n'est parfois qu'un succédané laïque de la confession. Mais elle peut l'être de deux façons différentes. Il arrive qu'elle ait surtout pour but de délivrer l'âme de ce qu'on appelle 'le poids du secret'. Celui qui parle a l'impression qu'à mesure que les mots le quittent, le quitte aussi une tension douloureuse. Il ne se préoccupe guère de ce que la pensée dont il se délivre devient dans la tête d'autrui. Il ne sollicite pas de conseils et n'écoute pas les réponses (s'il était au confessionnal, il tiendrait les propos du prêtre pour des formalités.) A la rigueur, il s'ouvrirait à des témoins inanimés, à des rochers ; comme dans la légende, à des roseaux. Faute de mieux, il parlerait tout haut dans la solitude. L'essentiel pour lui est que les mots rompent enfin le tournoiement insupportable de la pensée, et jettent le secret dehors."

dimanche 16 juin 2024

Romains (train, temps, espace)

Romains (J.), Mort de quelqu'un Livre de Poche pp. 8 et 10-11 :

"Mécanicien d'express, il avait eu l'habitude de bondir en quatre minutes du centre aux remparts. La locomotive avilit l'espace ; l'amas des quartiers et des faubourgs fond devant elle ; on dirait que le train dissout les murailles, les volatilise. […]

Il avait médité sur le temps. Le temps lui semblait quelque chose d'arbitraire, d'élastique ; il concevait mal qu'on pût s'y fier, et il considérait les horloges comme des machines à illusions. Il ne croyait pas non plus que l'apparence des objets répondît à leur nature, et fût la seule possible. Il les avait vus tant de fois se tasser, se tordre, s'agglutiner, selon la vitesse de la locomotive ! Il se rappelait les aspects  que prennent alors les palissades, les files d'arbres, et combien de mouvements, inconnus de l'homme au pas, se propagent autour train en marche. II finissait par juger cette façon d'apercevoir les choses aussi valable que celle des gens qui ne vont pas vite."