Romains, Cromedeyre-le-vieil [1920] :
"Le village est serré comme une mie de seigle ;
Comme si l'on avait coiffé le roc brillant
D'un rond de pâte qui aurait cuit là-dessus. [...]
Je vous défierais de distinguer les maisons.
Elles ont comme pénétré l'une dans l'autre.
Il n'y a là-dedans qu'une seule ruelle
Qui se replie et se tortille à la façon
D'un trou de chenille sous l'écorce. [...]
Et ces arbres ne sont pas à nous
Par l'effet de quelque droit d'achat.
Par un griffonnage de notaire. [...]
Ils sont à nous parce que nos pères,
Jadis, les ont plantés, un à un.
Dans un terroir qui ne connut point
D'autre tenancier que Cromedeyre. [...]
Cromedeyre tout entier est une seule maison. [...]
Car c'est Cromedeyre entier qui est son intérieur. [...]
Cromedeyre est comme un seul homme.
Un seul homme n'a pas le dégoût de sa propre odeur
Et ne se méfie point de ce qui luit dans son regard. [...]
Cromedeyre est une chair unique. [...]
Il existe un oubli qui n'est pas perte de mémoire.
L'on se souvient alors de sa vie et du monde entier
Avec une espèce de vivacité scintillante.
Mais plus rien n'est douloureux ; tout s'élance en allégresse. [...]
Tout communique et se pénètre
Dans l'épaisseur de Cromedeyre. [...]
Cromedeyre est en train de refaire un dieu."