Kandinsky, Du Spirituel dans l'art, chap. "Le langage des formes et des couleurs" (extraits) trad. Debrand et Du Crest :
"Les couleurs claires attirent davantage l'œil et le retiennent. Les couleurs claires et chaudes le retiennent plus encore : comme la flamme attire l'homme irrésistiblement, le vermillon attire et irrite le regard. Le jaune citron vif blesse les yeux. L'œil ne peut le soutenir. On dirait une oreille déchirée par le son aigre de la trompette. Le regard clignote et va se plonger dans les calmes profondeurs du bleu et du vert."
"Le bleu apaise et calme en s'approfondissant. En glissant vers le noir, il se colore d'une tristesse qui dépasse l'humain, semblable à celle où l'on est plongé dans certains états graves qui n'ont pas de fin et qui ne peuvent pas en avoir. Lorsqu'il s'éclaircit, ce qui ne lui convient guère, le bleu semble lointain et indifférent, tel le ciel haut et bleu clair. A mesure qu'il s'éclaircit, le bleu perd de sa sonorité, jusqu'à n'être plus qu'un repos silencieux, et devient blanc."
" La passivité est le caractère dominant du vert absolu. Qu'il passe au clair ou au foncé, le vert ne perd jamais son caractère premier d'indifférence et d'immobilité."
"Le rouge, couleur sans limites, essentiellement chaude, agit intérieurement comme une couleur débordante d'une vie ardente et agitée. Dans cette ardeur, dans cette effervescence, transparaît une sorte de maturité mâle, tournée vers soi et pour qui l'extérieur ne compte guère."
"Le rouge chaud, rendu plus intense par l'addition du jaune donne l'orangé. Le mouvement du rouge, qui était enfermé en lui-même, se transforme en irradiations, en expansion."
"Le violet est un rouge refroidi au sens physique et psychique du mot. Il y a en lui quelque chose de maladif, d'éteint et triste. C'est la raison, sans doute, pour laquelle les vieilles dames le choisissent pour leurs robes. Les Chinois en ont fait la couleur du deuil. Il a les vibrations sourdes du cor anglais, du chalumeau et répond, en s'approfondissant, aux sons graves du basson."
"Et enfin, le noir : comme un "rien" sans possibilités, comme un "rien" mort après la mort du soleil, comme un silence éternel, sans avenir sans l'espérance même d'un avenir, résonne intérieurement le noir. En musique, ce qui y correspond c'est la pause qui marque une fin complète, qui sera suivie, ensuite, d'autre chose peut-être, – la naissance d'un autre monde. Car tout ce qui est suspendu par ce silence est fini pour toujours : le cercle est fermé. "