vendredi 24 mai 2024

Guérin (Barbey)

Guérin (Maurice de), par Barbey d'Aurevilly, lettre à Trebutien 2 février 1855 :

"Ce Grand Mosaïste (c'était lui qui l'était et non pas moi) avait une manière de travailler patiente, amoureuse, caressante, enivrée du détail, qu'il léchait, pourléchait et veloutait avec une chatte de maternité voluptueuse ! Le moindre mot pour ce grand Voyant renfermait des immensités d'horizons. Je l'ai vu des semaines et des mois vivre dans un mot, – dans les délices intellectuelles d'un mot, – comme les Carthaginois à Capoue. Vous comprendrez que, pour les gens qui ne sont pas organisés comme nous, ceci doit toucher à la manie et à la folie, mais c'était ainsi. Hélas ! tout ce qui est intense n'est-il pas fou ? Le mot, du reste, le plus élastique et le plus relatif qu'il y ait ! Guérin, – passez-moi cette forme vulgaire mais expressive, – était le plus grand siroteur d'expression qui ait peut-être jamais existé. Il n'était jamais sans en déguster un. Il suçait les mots comme les abeilles pompent les fleurs et comme elles en font du miel, il en faisait des idées."


[je trouve étranges (expéditives) deux formulations : "chatte de maternité" ; et "déguster un" , pour "un mot", qui se trouve bien loin en amont dans la phrase…]