Hémon, Monsieur Ripois et la Némésis, incipit :
"M. Ripois franchit le seuil du restaurant du Littoral, les mains à fond dans ses poches, un cigare entre les dents et s’arrêta quelques instants sur le trottoir.
Dans Cambridge Circus les voitures tournoyaient comme un vol de goélands, traversant la place pour s’enfoncer dans Charing Cross Road ou dans Shaftesbury Avenue, en longues courbes rapides et faciles comme des coups d’ailes. Leur défilé incessant s’accompagnait d’une grande clameur égale faite du ronflement des moteurs et du bruit crépitant des pneus sur le sol, ressac monotone, que les appels de trompe et les hurlements des sirènes perçaient comme des cris.
Il n’y avait pas de ciel. Les regards levés n’allaient pas plus loin qu’une voûte indéfinie, sans couleur, qui pouvait être un manteau de brume, ou l’obscurité de la nuit, ou le vide d’un éther sans étoiles. Mais, au niveau du sol, l’atmosphère était presque libre de brouillard, et les mille lumières formaient sur les places et les rues une couche de clarté dans laquelle le trafic humain se mouvait avec assurance. Au-dessus de cette couche illuminée collée à la terre, le reste du monde s’oubliait dans la nuit.
D’un geste sec du petit doigt M. Ripois fit tomber la cendre de son cigare et traversa la chaussée nonchalamment."