Bouvier, Chronique japonaise, 'L'île sans mémoire' [Hokkaïdo], Quarto p. 657 :
"La pluie dans ce pays fait de si peu, c'est toujours un petit quelque chose de plus. J'aime d'ailleurs beaucoup ces natures qui ne font pas de musique symphonique mais ne connaissent que quelques notes et les répètent inlassablement. Dans ce peu qui me ressemble je me sens chez moi, je m'y retrouve, j'ai enfin le sentiment de comprendre ce que l'on cherche à me dire. En outre, cette gare vient de m'en rappeler une autre dans le canton de Vaud (Suisse) où, à six ou sept ans, j'ai souvent somnolé, jambes ballantes et le nez dans mes moufles en attendant le train du lait. Enfin ! me direz-vous, ce ciel polaire et bas, cette mer étale, cette absence, ces corbeaux, pourquoi le canton de Vaud ? C'est la lumière de cette lampe opaline à contrepoids accrochée trop haut au-dessus de la table, la façon dont les paquets bruns fortement ficelés s'entassent derrière le guichet, le bruit de cette grosse pendule ronde dont les secondes sont larges comme le doigt, bref, de ces riens qui s'agencent et conspirent pour former un climat. Car ce n'est pas par l'identité des choses elles-mêmes, mais par les rapports qui s'établissent secrètement entre ces choses que des lieux qui n'auraient rien en commun entrent soudain en résonance dans une logique hallucinée et entièrement nouvelle."