James, Henry, Esquisses parisiennes 1875-1876 (traduction M.P.) :
« Les œuvres de Barye, à très peu d’exceptions près, sont de petite taille et, dans un éclairage imparfait, réclament une attention soigneuse. Il faut ajouter qu’en général, elles nous en récompensent. Il a porté à sa perfection l’expression des représentants les plus impressionnants de la race féline, et il les rend avec une sûreté et une vigueur incomparables. Il les a représentés dans toutes les attitudes possibles et toutes les manifestations de leurs passions, et c’est toujours la créature vivante, grondante que nous voyons, avec ses ressources infinies de sinuosité et de force. Quand on regarde ces petits bronzes de Barye, il sont si chargés de mouvement et de science qu’ils semblent dépasser la taille naturelle, et l’œil suit les belles lignes de l’épine dorsale et du muscle, et se perd dans les endroits plus souples du pelage, comme si les petites éraflures étaient de vraies rayures et les fractions de pouces étaient des pieds. Tout dans ces créatures est admirable : la courbe mouvante, palpable du dos et de la queue, la pose de la patte, forte et souple, la sensation irrésistible d’un parfait mécanisme intérieur. Mais le meilleur, ce sont les têtes et les faces. Barye a étudié l’expression léonine jusqu’à ce qu’elle n’ait plus de secrets pour lui, et il l’a modelée dans toute sa belle hideur. Certains de ces animaux, relevant la tête de la carcasse qu’ils ont entre le pattes, alors qu’ils avalent un morceau particulièrement tendre, sont d’un naturel criant ; on croit voir l’aplatissement de la tête et l’adoucissement et la contraction des yeux jaunes, et entendre le grognement et le gargouillis de la gorge.
Rien de cela n’était trop difficile pour que Barye le tentât ; comme tous les vrais maîtres, il se régalait des difficultés, il les aimait, et il résolut triomphalement le problème des attitudes impossibles et des combinaisons inconcevables. De ce point de vue, une de ses œuvres est prodigieuse : le ‘Combat du Centaure et du Lapithe’ est, peut-être, la plus forte de ses productions. Le Lapithe chevauche le Centaure, serrant ses flancs entre ses genoux puissants, son bras levé brandissant une massue. Le torse du Centaure est tordu vers l’arrière avec un admirable jeu de muscles, et il essaie violemment de désarçonner son ennemi.
Le sujet est magnifique, et l’auteur y a traité l’élément humain avec une habileté qui est chez lui tout à fait exceptionnelle. Ses hommes et ses femmes, dont on a plusieurs spécimens, sont plutôt grossiers et peu dessinés ; tout son soin, en général, va à ses bêtes sauvages.
Mais ici l’homme est aussi bien traité que le cheval, et la rage monstrueuse de la créature qui trouve que les ressources combinées de l’homme et du cheval sont incapables de l’aider, a une expression vraiment tragique. Bien que Barye, hors des animaux, fût faible, il a eu une conception qui, s’il lui avait été permis de l’exécuter, se serait révélée sublime. En vérité, elle aurait tiré la moitié de sa sublimité de la beauté animale.
Alors que la décoration de l’Arc de Triomphe était encore inachevée (en 1840), il lui fut suggéré d’exécuter un groupe à placer au sommet. Il proposa un aigle gigantesque de 70 pieds d’envergure se posant sur un ensemble colossal de cités capturées et de trophées - l’aigle perché sur les dépouilles.
Je ne sais pas ce que cela aurait donné, mais cela semble excellent. Le projet ne fut pas réalisé, car, en 1840 il fut trouvé assez déplaisant pour les nations naguère ‘conquises’.
Il faut noter aussi que l’exposition à l’Ecole des Beaux-Arts telle que je l’ai vue est une représentation élaborée de la cruauté.
Presque tous les animaux de Barye déchirent, dévorent, se battent, se roulent dans le sang. « Les œuvres de M. Barye, ou la beauté plastique de la férocité », cela aurait été un nom approprié pour la collection. Si je n’avais rien su de son histoire, et que l’on m’ait demandé à quelle période de l’art appartenaient ces beaux petits bronzes, j’aurais dit qu’ils avaient été faits pour amuser les dames et les messieurs du bas-empire romain qui souhaitaient, dans leur logis, avoir un rappel des distractions du cirque. »
Rien de cela n’était trop difficile pour que Barye le tentât ; comme tous les vrais maîtres, il se régalait des difficultés, il les aimait, et il résolut triomphalement le problème des attitudes impossibles et des combinaisons inconcevables. De ce point de vue, une de ses œuvres est prodigieuse : le ‘Combat du Centaure et du Lapithe’ est, peut-être, la plus forte de ses productions. Le Lapithe chevauche le Centaure, serrant ses flancs entre ses genoux puissants, son bras levé brandissant une massue. Le torse du Centaure est tordu vers l’arrière avec un admirable jeu de muscles, et il essaie violemment de désarçonner son ennemi.
Le sujet est magnifique, et l’auteur y a traité l’élément humain avec une habileté qui est chez lui tout à fait exceptionnelle. Ses hommes et ses femmes, dont on a plusieurs spécimens, sont plutôt grossiers et peu dessinés ; tout son soin, en général, va à ses bêtes sauvages.
Mais ici l’homme est aussi bien traité que le cheval, et la rage monstrueuse de la créature qui trouve que les ressources combinées de l’homme et du cheval sont incapables de l’aider, a une expression vraiment tragique. Bien que Barye, hors des animaux, fût faible, il a eu une conception qui, s’il lui avait été permis de l’exécuter, se serait révélée sublime. En vérité, elle aurait tiré la moitié de sa sublimité de la beauté animale.
Alors que la décoration de l’Arc de Triomphe était encore inachevée (en 1840), il lui fut suggéré d’exécuter un groupe à placer au sommet. Il proposa un aigle gigantesque de 70 pieds d’envergure se posant sur un ensemble colossal de cités capturées et de trophées - l’aigle perché sur les dépouilles.
Je ne sais pas ce que cela aurait donné, mais cela semble excellent. Le projet ne fut pas réalisé, car, en 1840 il fut trouvé assez déplaisant pour les nations naguère ‘conquises’.
Il faut noter aussi que l’exposition à l’Ecole des Beaux-Arts telle que je l’ai vue est une représentation élaborée de la cruauté.
Presque tous les animaux de Barye déchirent, dévorent, se battent, se roulent dans le sang. « Les œuvres de M. Barye, ou la beauté plastique de la férocité », cela aurait été un nom approprié pour la collection. Si je n’avais rien su de son histoire, et que l’on m’ait demandé à quelle période de l’art appartenaient ces beaux petits bronzes, j’aurais dit qu’ils avaient été faits pour amuser les dames et les messieurs du bas-empire romain qui souhaitaient, dans leur logis, avoir un rappel des distractions du cirque. »
Parisian Sketches
Letters To The New York Tribune 1875 1876
Paris as it is
Letter from Henry James, Jr.
The exhibition of Barye’s animal statuary
The story of the sculptor’s carrer, his triumph over difficulties
(from a regular correspondent of ‘The Tribune’)
Barye's works, with very few exceptions, are small, and, in the imperfect light, require a very close inspection. It must be added that they generally repay it. He had caught in perfection the expression of the more formidable members of the feline race, and he renders it with incomparable certainty and vigor. He has represented them in every possible attitude and manifestation of their passions, and it is always the living, growling creature that we see, with its infinite resources of sinuosity and strength. As you look at these little bronzes of Barye, so full as they are of compressed movement and science, they seem to expand to the size of nature, and your eye follows the beautiful lines of spine and muscle, and loses itself in the softer places of the hide, as if the little scratches were real stripes and spots, and the fractions of inches were feet. Everything in these creatures is admirable the moving, palpable curve of back and tail, the strong, soft footfall, the irresistible sense of the perfect mechanism within. But the best thing is the heads and faces. Barye studied the leonine countenance until it had no secrets for him, and he modeled it in all its beautiful hideousness. Some of his animals, throwing back their heads from the carcass in their paws, while they swallow a peculiarly tender morsel, have an extraordinary truth to nature ; you seem to see the flattening of the head, and the softening and contraction of the yellow eyes, and to hear the comfortable snarl and gurgle of the throat.
Nothing in this way was too difficult for Barye to attempt ; like all real masters he relished difficulties, he loved them, and he triumphantly solved the problem of impossible attitudes and inconceivable combinations. One of his works is in this respect prodigious ; the "Combat of the Centaur and the Lapitha" is, perhaps, indeed, the strongest of his productions. The Lapitha is astride of the Centaur's back, locking his flanks in his powerful knees, swinging a club in his uplifted arm. The Centaur's torso is twisted back with an admirable play of muscle, and he is fiercely trying to unseat his enemy.
The subject is magnificent, and the author has handled the human element in it with a skill which, for him, is quite exceptional. His men and women, of whom there are several specimens, are rather gross and unshaped; all his delicacy, generally speaking, is in his wild beasts.
But here the man is as good as the horse, and the monstrous rage of the creature who finds that the combined resources of both man and horse are helpless to assist him has a really tragic expression. Though Barye was weak, outside of his animals, he had once a conception which, if he had been permitted to execute it, might have proved sublime. It would have drawn half its sublimity, indeed, from animal beauty.
While the decoration of the Arc de Triomphe was still unfinished (in 1840), it was suggested to Barye to execute a group to be placed on the summit. He proposed a gigantic eagle, of 70 feet from wing to wing, lighting upon a colossal aggregation of captured towns and trophies the eagle of victory perched upon the spoils of conquest. I don't know how it would have looked, but it sounds very fine. The plan was not carried out, as it was thought rather impertinent to the "conquered" nations whichever, in 1840, they were. One thing more to be noticed is that the exhibition at the Ecole des Beaux Arts is (as I have seen it well observed) an elaborate representation of cruelty.
One thing more to be noticed is that the exhibition at the Ecole des Beaux Arts is (as I have seen it well observed) an elaborate representation of cruelty.
All Barye's animals or almost all are tearing something to pieces, devouring, fighting, weltering in blood. "The works of M. Barye, or the plastic beauty of ferocity" that would have been a good name for the collection. If I had known nothing of its history, and had been asked to what period of art these beautiful little bronzes belonged, I should have said that they were made to amuse the ladies and gentlemen of the later Roman empire, when they wished, in their houses, a little memento of the entertainments of the circus.
Nothing in this way was too difficult for Barye to attempt ; like all real masters he relished difficulties, he loved them, and he triumphantly solved the problem of impossible attitudes and inconceivable combinations. One of his works is in this respect prodigious ; the "Combat of the Centaur and the Lapitha" is, perhaps, indeed, the strongest of his productions. The Lapitha is astride of the Centaur's back, locking his flanks in his powerful knees, swinging a club in his uplifted arm. The Centaur's torso is twisted back with an admirable play of muscle, and he is fiercely trying to unseat his enemy.
The subject is magnificent, and the author has handled the human element in it with a skill which, for him, is quite exceptional. His men and women, of whom there are several specimens, are rather gross and unshaped; all his delicacy, generally speaking, is in his wild beasts.
But here the man is as good as the horse, and the monstrous rage of the creature who finds that the combined resources of both man and horse are helpless to assist him has a really tragic expression. Though Barye was weak, outside of his animals, he had once a conception which, if he had been permitted to execute it, might have proved sublime. It would have drawn half its sublimity, indeed, from animal beauty.
While the decoration of the Arc de Triomphe was still unfinished (in 1840), it was suggested to Barye to execute a group to be placed on the summit. He proposed a gigantic eagle, of 70 feet from wing to wing, lighting upon a colossal aggregation of captured towns and trophies the eagle of victory perched upon the spoils of conquest. I don't know how it would have looked, but it sounds very fine. The plan was not carried out, as it was thought rather impertinent to the "conquered" nations whichever, in 1840, they were. One thing more to be noticed is that the exhibition at the Ecole des Beaux Arts is (as I have seen it well observed) an elaborate representation of cruelty.
One thing more to be noticed is that the exhibition at the Ecole des Beaux Arts is (as I have seen it well observed) an elaborate representation of cruelty.
All Barye's animals or almost all are tearing something to pieces, devouring, fighting, weltering in blood. "The works of M. Barye, or the plastic beauty of ferocity" that would have been a good name for the collection. If I had known nothing of its history, and had been asked to what period of art these beautiful little bronzes belonged, I should have said that they were made to amuse the ladies and gentlemen of the later Roman empire, when they wished, in their houses, a little memento of the entertainments of the circus.