mardi 2 juillet 2024

Chardonne (Proust)

Chardonne, N.R.F., 1er juillet 1961, p. 165-166. 

"… Je venais de lire pour la seconde fois l'oeuvre entière de Proust. […] Après les premiers tomes, la critique est facile, quand apparaissent davantage une certaine débilité dans la profusion, une psychologie  trop soufflée qui s'épuise dans ses rebondissements, jamais aride pourtant ; ces phrases trop ramifiées, avec des détails merveilleux. Relisant mes notes, ce long travail m'a paru vain, comme tout ce que j'ai lu sur ce sujet ; je l'ai relégué dans mon tiroir à broutilles.

On dirait que tout échappe à Proust, indéfiniment rattrapé, répété, analysé dans un halètement poignant ; mais jamais écrivain n'a parlé si près de nous comme à l'oreille avec un accent si tendre. Cette œuvre ingénue, si librement humaine, a ému longtemps un monde de lecteurs ; je crois que l'on y reviendra toujours avec le même étonnement, et toujours, dans la pénombre de ce baroque édifice, on sera saisi par le chant plaintif de ces orgues sourdes."


lundi 1 juillet 2024

Courier (Napoléon)

Courier, texte sans mention, 1804 

(cf. http://www.paullouiscourier.fr/_1804_sans_mention.php)

 [parlant de l’avènement de Napoléon au trône] 

"Que signifie, dis-moi… un homme comme lui, Bonaparte, soldat, chef d’armée, le premier capitaine du monde, vouloir qu’on l’appelle majesté ! être Bonaparte et se faire sire ! Il aspire à descendre : mais non, il croit monter en s’égalant aux rois. Il aime mieux un titre qu’un nom. Pauvre homme, ses idées sont au-dessous de sa fortune. Ce César l’entendait bien mieux, et aussi c’était un autre homme : il ne prit point de titres usés ; mais il fit de son nom un titre supérieur à celui des rois."



dimanche 30 juin 2024

Romains (exception)

Romains (J.) Quand le Navire..., chap. X, Livre de Poche p. 206 : 

"Je suis un homme simple. Si je crois qu'un fait comme ça est vrai et possible, je me dis qu'il y en a mille et mille autres qui sont vrais et possibles. Plutôt, qu'ils forment un monde, un monde immense. Alors, je le sens là, tout le temps. Je ne suis pas assez bête pour m'imaginer qu'on peut le reléguer au fin fond des parages où on ne va jamais, comme un continent antarctique. De deux choses l'une. Ou il n'existe pas. Ou s'il existe, il est là sous mes pieds, là, à portée de ma main, là, derrière la première cloison venue. Je ne puis plus faire un pas sans y penser. Comment voulez-vous que je ne me dise pas que les objets et les gens qui m'entourent, comme je me les suis représentés jusqu'ici, avec l'appui du sens commun et de la science, ne forment qu'une surface, une espèce de décor bien conditionné ? Le fait en question, je le vois dépasser comme un tout petit bout de ce monde immense, qui est derrière, partout, et tout près. Je ne puis plus regarder un seul endroit du décor, sans me dire que quelque chose peut soudain passer au travers, là aussi ; n'attend que l'occasion ; sans voir le décor comme vaciller sous la poussée, par derrière, de ce monde immense…"