samedi 6 avril 2024

Murdoch (théâtre)

Murdoch, La Mer, la mer, § "Préhistoire", Folio, trad. Mayoux p. 58-59  :

"Bien que mon style ait reçu l'étiquette d' "expérimental", je suis un solide partisan de la scène à l'italienne, je suis pour l'illusion, pas pour l'aliénation. Je déteste cette agitation interminable sur le plateau découvert de tous côtés, qui brouille la clarté des événements. J'abhorre également l'ineptie de la "participation du public" ; les émeutes et autres activités collectives peuvent avoir leur intérêt, mais il ne faudrait pas les confondre avec l'art dramatique. Celui-ci doit créer un sortilège de l'instant présent factice, et y emprisonner le spectateur. Le théâtre singe cette vérité profonde que nous sommes des êtres à prolongements, mais qui ne peuvent exister que dans le présent. Un présent factice parce qu'il lui manque l'aura indépendante de la réflexion personnelle, et qu'il comporte ses propres limitations et conclusions secrètes. Ainsi, la vie est comique, elle peut être horrible mais pas tragique : la tragédie est liée aux ruses de la scène."


Though described as an ‘experimentalist’ I am a firm friend of the proscenium arch. I am in favour of illusion, not of alienation. I detest the endless fidgeting on the surrounded stage which dissolves the clarity of events. Equally I abhor the nonsense of ‘audience participation’. Riots and other communal activities may have their value but must not be confused with dramatic art. Drama must create a factitious spell-binding present moment and imprison the spectator in it. The theatre apes the profound truth that we are extended beings who yet can only exist in the present. It is  a factitious present because it lacks the free aura of personal reflection and contains its own secret limits and conclusions. Thus life is comic, but though it may be terrible it is not tragic : tragedy belongs to the cunning of the stage.


vendredi 5 avril 2024

Ellis (journée)

Ellis (Bret Easton), Les Éclats chap. 1 : 

"Les types démarraient la journée en se retrouvant pour déjeuner vers midi – un de nos endroits préférés était Yesterdays et le sandwich Monte Cristo qu’ils servaient, ou bien nous prenions l’ascenseur en rez-de-chaussée qui descendait jusqu’à Good Earth, un restaurant végétarien à la mode, haut de gamme, où nous buvions des verres gigantesques de thé glacé à la cannelle et dévorions des salades, ou encore nous nous entassions dans un des box rouges de Hamburger Hamlet pour des croque-monsieur après avoir acheté nos tickets pour le film suivant au Bruin, juste à côté sur Weyburn. Le dîner avait parfois lieu à The Chart House ou à l’italien très vieille école, Mario, avec des pauses pour jouer à Space Invaders et à Pac-Man à la Westworld Video Arcade, ou traîner au Postermat pendant que des groupes de filles des années 1960 se déchaînaient sur la sono, ou aller chercher de nouveaux disques chez Tower Records ou à The Wherehouse, ou encore pour feuilleter des livres de poche dans l’une des nombreuses librairies qui essaimaient dans les rues – il y en avait cinq ou six en 1981, il n’y en a plus aucune aujourd’hui. Nous finissions la nuit au Ships, un café rétro sur Wilshire, situé à la périphérie de Westwood Village, avec un toit en forme de boomerang et un néon atomique, où nous commandions des Coca et des milk-shakes à la vanille, fumions des cigarettes au clou de girofle, où on trouvait des cendriers et un toaster individuel sur chaque table, et où nous restions bien après minuit."



The guys would start the day by meeting for lunch somewhere at noon – a favorite was Yesterdays and the Monte Cristo sandwich they served, or we’d take the street-level elevator down into the Good Earth, a modish upscale health-food restaurant where we drank giant glasses of cinnamon-flavored iced tea and ate salads, or we’d crowd into one of the red booths at Hamburger Hamlet for patty melts after buying our tickets for the next movie at the Bruin, adjacent on Weyburn. Dinner was sometimes at the Chart House or the old-school Italian of Mario’s, with breaks spent at the Westworld  video arcade playing Space Invaders and Pac-Man or browsing the Postermat while sixties girl groups blared or looking for new music at Tower Records or the Wherehouse or leafing through paperbacks at any number of the large bookstores that dotted the streets – there were five or six in 1981, there are none now. The night would end at Ships, a retro coffee shop on Wilshire, situated along the edges of Westwood Village, with a boomerang-shaped roof and atomic neon sign, and where we’d order Cokes and vanilla milkshakes and smoke clove cigarettes, ashtrays and a separate toaster on each table, and stay out until after midnight.


jeudi 4 avril 2024

La Bruyère (critique)

Le Mercure Galant sur La Bruyère :

"L'ouvrage de M. de La Bruyère ne peut être appelé livre que parce qu'il a une couverture et qu'il est relié comme les  autres livres. Ce n'est qu'un amas de pièces détachées qui ne peut faire connaître si celui qui les a faites aurait assez de génie et de lumière pour bien conduire un ouvrage qui serait suivi. Rien n'est plus aisé que de faire trois ou quatre pages  d'un portrait qui ne demande point d'ordre, et il n'y a pas de  génie si borné qui ne soit capable de coudre ensemble quelques médisances de son prochain, et d'ajouter ce qui lui paraît capable de faire rire."


mercredi 3 avril 2024

Berdiaeff (collectivisme 2)

Berdiaev, Destin de l’homme dans le monde actuel, 1934 :

"L’être humain n’a pas la force de se maintenir, de défendre sa propre valeur et de trouver en lui-même un point d’appui. Il s’accroche comme à une bouée de sauvetage aux collectivités – collectivités nationales, communistes ou racistes, à l’État en tant qu’Absolu terrestre, à l’organisation et à la « technisation » de la vie. C’est des tranchées que sont issues pour monter dans l’arène de l’histoire ces masses, tombées hors des cadres organiques de la vie, ayant perdu la sanction religieuse de l’existence, et ayant besoin d’une organisation par contrainte afin d’éviter le chaos définitif."


lundi 1 avril 2024

Gracq (langue littéraire)

Gracq, Lettrines Pléiade t. 2 p. 212 [1° public. en 1966] : 

"À deux reprises, à l’intervalle d’un siècle : Saint-Simon – Chateaubriand (plus rarement) on voit l’idiome un instant crever la croûte refroidie de la langue. Vocabulaire verdissant, abrupt, d’un grain de peau non corroyée, qui sent encore les bauges féodales et les cépées de l’ancienne France. Presque tous les autres écrivains ont écrit d’après les livres. Après, peut-être faut-il compter Céline, mais c’est souvent moins une débâcle de la langue qui s’écrit qu’un accident du tout-à-l’égout."


dimanche 31 mars 2024

Zamiatine (pope)

Zamiatine, Scythes, in Écrits oubliés p. 150 : 

"Le Christ au Golgotha, perdant son sang goutte après goutte, entre deux bandits, est vainqueur parce qu'Il est crucifié et réellement vaincu. Mais le Christ réellement vainqueur, c'est le Grand Inquisiteur. Pire, le Christ réellement vainqueur, c'est le pope ventru en soutane lilas doublée de soie, bénissant de la main droite, tandis que de la gauche il récolte les dons. [...] Telle est l'ironie, telle est la sagesse du destin. Sa sagesse, car cette loi ironique est le gage de l'éternelle marche en avant. La réalisation, la chute terrestre, la victoire concrète de l'idée signent aussitôt son embourgeoisement."