Vargas Llosa, Lituma dans les Andes, trad. Bensoussan, Gallimard, 1996, p. 277-278 :
« Chanter un huayno avec sentiment, en s’abandonnant, en se laissant aller, en se perdant dans la chanson, jusqu’à sentir que tu es elle, que la musique te chante plutôt que tu ne la chantes, c’est le chemin de la sagesse. Taper du pied, taper du pied, tourner, faire des figures, les défaire sans perdre le rythme, en s’oubliant, en s’en allant, jusqu’à sentir que la danse maintenant te danse, qu’elle est entrée au fond de toi, qu’elle commande et que tu obéis, c’est le chemin de la sagesse. Tu n’es plus toi, je ne suis plus moi mais tous les autres. Ainsi sort-on de la prison du corps, pour entrer dans le monde des esprits. En chantant. En dansant. Également en picolant, certes. Avec la saoulerie tu voyages, dit Dionisio, tu perds la boule, tu secoues tes soucis, tu découvres ton secret, tu t'accordes à toi-même. Le reste du temps tu es prisonnier, comme les cadavres dans les tombes antiques ou dans les cimetières d'à présent. Tu es esclave ou au service de quelqu'un, toujours. En dansant et buvant, il n'y a pas d'Indiens, de métis, de beaux messieurs, de riches ni de pauvres, d'hommes ni de femmes. Les différences s'effacent et nous devenons comme des esprits : Indiens, métis et beaux messieurs à la fois ; riches et pauvres, femmes et hommes en même temps. Tous ne voyagent pas en dansant, chantant ou picolant, seuls les êtres supérieurs. Il faut avoir des dispositions et perdre son orgueil, sa honte, descendre du piédestal où les gens sont juchés. Celui qui ne met pas en sommeil sa pensée, celui qui ne s'oublie pas lui-même, ni ne se libère des vanités et des orgueils, ni ne devient musique quand il chante, danse quand il danse, saoulerie quand il se saoule, celui-là ne sort pas de sa prison, ne voyage pas, ne perd pas la boule, n'accède pas à l'esprit. Il ne vit pas : il est décadence et mort-vivant ».
Cantar un huaynito con sentimiento, abandonándose, dejándose ir, perdiéndose en la canción,hasta sentir que ya eres ella, que la música te canta a tí en vez de tú cantarla a ella, es camino de sabiduría. Zapatear, zapatear, girar, ir adornando la figura, haciéndola y deshaciéndola sin perder el ritmo, olvidándose, yéndose, hasta sentir que el baile ya te está bailando, que se metió en tus adentros, que él manda y tú obedeces, es camino de sabiduría. Tú ya no eres tú, yo ya no soy yo sino todos los otros. Así se sale de la cárcel del cuerpo y se entra al mundo de los espíritus. Cantando. Bailando. También tomando, por supuesto. Con la borrachera viajas, dice Dionisio, visitas a tu animal, te sacudes la preocupación, descubres tu secreto, te igualas. El resto del tiempo estás preso, como los cadáveres en las huacas antiguas o en los cementerios de ahora. Eres esclavo o sirviente de alguien siempre. Bailando y bebiendo, no hay indios, mestizos ni caballeros, ricos ni pobres, hombres ni mujeres. Se borran las diferencias y nos volvemos como espíritus : indios, mestizos y caballeros a la vez ; ricos y pobres, mujeres y hombres al mismo tiempo. No todos viajan bailando, cantando o chupando, sólo los superiores. Hay que tener disposición y perder el orgullo y la vergüenza, bajarse del pedestal en el que la gente vive montada. El que no pone a dormir su pensamiento, el que no se olvida de sí mismo, ni se saca las vanidades y soberbias ni se vuelve música cuando canta, ni baile cuando baila, ni borrachera cuando se emborracha. Ése no sale de su prisión, no viaja, no visita a su animal ni sube hasta espíritu. Ése no vive : es decadencia y está vivo-muerto.
Cf. :
https://lelectionnaire.blogspot.com/2020/06/valery-dionysisme.html