Valéry, Autres Rhumbs Pléiade t. 2 p. 667 :
« Il me semble que je me retrouve et me reconnaisse quand je reviens à cette eau universelle. Je ne connais rien aux moissons, aux vendanges. Rien pour moi dans les Géorgiques.
Mais se jeter dans la masse et le mouvement, agir jusqu’aux extrêmes, et de la nuque aux orteils ; se retourner dans cette pure et profonde substance ; boire et souffler la divine amertume, c’est pour mon être le jeu comparable à l’amour, l’action où tout mon corps se fait tout signes et tout forces, comme une main s’ouvre et se ferme, parle et agit. Ici, tout le corps se donne, se reprend, se conçoit, se dépense et veut épuiser ses possibles. Il la brasse, il la veut saisir, étreindre, il devient fou de vie et de sa libre mobilité ; il l’aime, il la possède, il engendre avec elle mille étranges idées. Par elle, je suis l’homme que je veux être. Mon corps devient l’instrument direct de l’esprit, et cependant l’auteur de toutes ses idées. Tout s’éclaire pour moi. Je comprends à l’extrême ce que l’amour pourrait être. Excès du réel ! Les caresses sont connaissance. Les actes de l’amant seraient les modèles des œuvres.
Donc, nage ! donne de la tête dans cette onde qui roule vers toi, avec toi, se rompt et te roule ! »