samedi 16 mars 2024

Nabokov (chambre)

Nabokov, Le Don chap. II, Pléiade t. 2 p. 152-153 :

"Une petite chambre oblongue avec des murs ocre se figea devant le visiteur, une table près de la fenêtre, un canapé le long d'un mur et une armoire contre l'autre. Elle sembla repoussante à Fiodor, hostile, complètement «incommode» en ce qui concernait sa vie, comme si elle était positionnée de guingois à de nombreux degrés fatidiques (avec un rayon de soleil poussiéreux représentant la ligne pointillée qui marque le biais d'une figure géométrique quand elle est retournée) par rapport à ce rectangle imaginaire dans les limites duquel il lui serait possible de dormir, lire et penser ; mais, même s'il lui avait été possible par miracle d'adapter sa vie à l'angle de cette boîte difforme, son mobilier, sa couleur, sa vue sur la cour macadamisée, tout en elle était néanmoins insupportable, et il décida sur-le-champ qu'il ne la prendrait pas."


vendredi 15 mars 2024

Süskind (contrebasse)

Süskind, La Contrebasse, trad. Lortholary, Livre de Poche p. 17 :

"Donc, quatre cordes, accordées de quarte en quarte : mi, la, ré, sol. Plus une corde de do ou de si dans les basses à cinq cordes. C'est aujourd'hui la règle absolue, depuis l'Orchestre Symphonique de Chicago jusqu'à l'Orchestre d'État de Moscou. Mais avant d'en arriver là, que d'empoignades ! Rien n'était uniforme : ni le nombre de cordes, ni la façon de les accorder, ni même la taille de l'instrument. Il n'y a que la contrebasse, de tous les instruments, qui ait eu autant de modèles différents... Vous permettez qu'en même temps je prenne un peu de bière, c'est dingue, ce que je peux me déshydrater... Aux xviie et xviiie siècles, c'était la pagaille la plus totale : basse de gambe, grande basse de viole, grand violon à frettes, subtraviolon sans frettes ; accords de tierce, de quarte, de quinte ; basses à trois, à quatre, à six, à huit cordes, ouïes en forme de « f » ou de « c »... De quoi vous rendre fou. Jusqu'en plein xixe siècle, ils ont en France et en Angleterre une basse à trois cordes accordées à la quinte ; en Espagne et en Italie, trois cordes, mais à la quarte ; tandis qu'en Allemagne et en Autriche, c'est une basse à quatre cordes accordées à la quarte. Après, les Allemands ont imposé les quatre cordes et l'accord de quarte, tout simplement parce qu'à l'époque les meilleurs compositeurs étaient allemands. Encore qu'une basse à trois cordes ait un plus beau son. Ça grince moins, c'est plus mélodieux, c'est tout simplement plus beau. Mais en revanche les Allemands avaient Haydn, Mozart, les fils Bach. Et ensuite Beethoven et tous les romantiques. Eux, la sonorité de la contrebasse, ils s'en foutaient."


Gut. Also vier Saiten, Quartenstimmung E - A - D - G, respektive beim Fünfsaiter noch C oder H. Das ist heut uniform so von Chikago-Symphonie bis Moskauer Staatsorchester. Aber bis dahin waren das Kämpfe. Verschiedene Stimmungen, verschiedene Saitenzahl, verschiedene Größe -es gibt kein Instrument, bei dem es soviele Typen gegeben hat wie beim Kontrabaß - Sie erlauben, daß ich nebenher Bier trinke, ich habe einen wahnsinnigen Flüssigkeitsverlust. Im 17. und 18. Jahrhundert das reinste Chaos: Baßgambe, Großbaßviola, Violone mit Bünden, Subtraviolone ohne Bünde, Terz-Quart-Quintenstimmung, drei-, vier-, sechs-, achtsaitig, f-Schallöcher, c-Schalllöcher - zum Wahnsinnigwerden. Noch bis ins 19. Jahrhundert haben Sie in Frankreich und England einen Dreisaiter in Quintenstimmung; in Spanien und Italien einen Dreisaiter in Quartenstimmung; und in Deutschland und Österreich einen Viersaiter in Quartenstimmung. Wir haben uns dann durchgesetzt mit dem quartenstimmigen Viersaiter, weil wir in der Zeit einfach die bessern Komponisten gehabt haben. Obwohl ein dreisaitiger Baß besser klingt. Nicht so kratzig, melodiöser, einfach schöner. Aber dafür haben wir Haydn gehabt, Mozart, die Bachsöhne. Später Beethoven und die ganze Romantik. Denen war das Wurscht wie der Baß klingt. 


jeudi 14 mars 2024

Rétif (réalité et imitation)

Rétif de la Bretonne,  Nuits de Paris, I, 1 p. 21 : 

"O Nature ! je t'adore humblement prosterné. Pourquoi l'homme insensé ferme-t-il les yeux à ta céleste clarté ! un seul jet de cette lumière divine éclairerait les mortels, et chasserait loin d'eux les ténèbres de la superstition... Tire le voile, ô Buffon ! ôte à ton siècle la cataracte qui ferme son œil au beau jour !"


Rétif de la Bretonne, La Découverte australe par un Homme-volant, ou le Dédale français ; nouvelle très philosophique, Leïpsick, 1781, 4 vol., t. 3, p. 503-504 : 

"N’avez-vous donc pas les beaux-arts, comme la peinture, la sculpture, la musique, la poésie ? 

— Nous méprisons la peinture ; nos tableaux, ce sont nos beaux Hommes, nos belles Femmes que nous voyons tous les jours ; si le Genre-humain était anéanti, et qu’un seul Individu conservé fût condamné à vivre éternellement seul sur la terre, nous le trouverions excusable de s’appliquer aux deux arts de la peinture et de la sculpture, pour tromper sa solitude par une trompeuse image."


mercredi 13 mars 2024

Yonnet (racisme)

Yonnet, Voyage au centre du malaise français : L'antiracisme et le roman national p. 15 :

 "Puisque « le racisme n'est pas une opinion », selon une formule célèbre, l'antiracisme n'en est pas une non plus. C'est une contrainte sociale, une contrainte d'éducation permanente – médiatico-scolaire –, plus ou moins librement acceptée : elle n'apparaît sous son caractère de contrainte collective que pour qui s'en affranchit, ou s'y oppose. Mais tout se ligue contre l'émergence d'une telle attitude, que ne permettent normalement pas le jeu des relations corporatives ni l'économie du pouvoir entre les groupes à l'oeuvre dans la structure sociale. Pour exister ou nourrir ambition, il faut en être ou affecter d'en être. La stigmatisation et le confinement dans l'opprobre sont la sanction ordinaire d'une transgression de l'obligation commune, tant que celle-ci n'a pas été atteinte." 


mardi 12 mars 2024

Zola (piété)

Zola, La Conquête de Plassans, chap XVII :

"Toute une nouvelle femme grandissait en Marthe. Elle était affinée par la vie nerveuse qu’elle menait. Son épaisseur bourgeoise, cette paix lourde acquise par quinze années de somnolence derrière un comptoir, semblait se fondre dans la flamme de sa dévotion. […] Il y avait, chez elle, une sorte d’appétit physique de ces gloires, un appétit qui la torturait, qui lui creusait la poitrine, lui vidait le crâne, lorsqu’elle ne le contentait pas. Elle souffrait trop, elle se mourait, et il lui fallait venir prendre la nourriture de sa passion, se blottir dans les chuchotements des confessionnaux, se courber sous le frisson puissant des orgues, s’évanouir dans le spasme de la communion. Alors, elle ne sentait plus rien, son corps ne lui faisait plus mal. Elle était ravie à la terre, agonisant sans souffrance, devenant une pure flamme qui se consumait d’amour. […]

Elle entra enfin dans les délices du paradis. Elle eut des attendrissements, des larmes intarissables qu’elle pleurait sans les sentir couler ; crises nerveuses, d’où elle sortait affaiblie, évanouie, comme si toute sa vie s’en était allée le long de ses joues. Rose la portait alors sur son lit, où elle restait pendant des heures avec les lèvres minces, les yeux entrouverts d’une morte…"


lundi 11 mars 2024

Zola (pieds)

Zola, L'Assommoir, chap 13 : 

"Coupeau, les paupières closes, avait de petites secousses nerveuses qui lui tiraient toute la face. Il était plus affreux encore, ainsi écrasé, la mâchoire saillante, avec le masque déformé d'un mort qui aurait eu des cauchemars. Mais les médecins, ayant aperçu les pieds, vinrent mettre leurs nez dessus d'un air de profond intérêt. Les pieds dansaient toujours. Coupeau avait beau dormir, les pieds dansaient. Oh ! leur patron pouvait ronfler, ça ne les regardait pas, ils continuaient leur train-train, sans se presser ni se ralentir. De vrais pieds mécaniques, des pieds qui prenaient leur plaisir où ils le trouvaient."


dimanche 10 mars 2024

Molière (dissuasion)


Molière, Le Bourgeois gentilhomme, Acte II, sc. II : 

"Êtes-vous fou de l’aller quereller, lui qui entend la tierce et la quarte, et qui sait tuer un homme par raison démonstrative ?"