samedi 12 novembre 2022

Audiard (droite)

Audiard : 

"Ce qui me séduit dans la droite, ce sont ses écrivains. Montherlant, Morand et Giono, Jacques Perret et Marcel Aymé. Je suis toujours attiré par la déconnante, et la droite déconne. Les hurluberlus, les mabouls, on ne le trouve qu’à droite. La droite est braque, il ne faut jamais l’oublier. A gauche, c’est du sérieux. Ils pensent ce qu’ils disent et, c’est le moins qu’on puisse dire, ils ne sont pas très indulgents avec les idées des autres. Je n’ai jamais entendu Marcel Aymé porter des jugements sur le reste de l’humanité, ni demander des sanctions ou des châtiments."


vendredi 11 novembre 2022

Proust (lettre)

Proust, lettre à Madame Straus (1890) : 

"Ma chère petite Madame Straus,

Il ne faut pas du tout que vous pensiez que je vous aime moins parce que je ne vous envoie plus de fleurs. Mais Mlle Lemaire pourra vous dire que je me promène chaque matin avec Laure Heyman, que je la remmène souvent déjeuner - et cela me coûte si cher que je n'ai plus un sou à fleurs - et sauf dix sous de coquelicots à Mme Lemaire je ne crois pas que j'en aie envoyé depuis à vous. Vous étiez dans votre lit, belle comme un ange qui aurait mauvaise mine, c'est-à-dire à rendre fous les mortels. Et n'ayant pas osé, pour ne pas vous faire mal à la tête le faire vraiment, ici, par fiction, je vous embrasse tendrement.

Votre petit,

Marcel"

jeudi 10 novembre 2022

Suarès (Cène)

SuarèsLe Voyage du condottiere : 

"Un grave couloir à la porte d’une sacristie ; un cloître aux arcades longues ; enfin le réfectoire où un tel aliment est servi pour les siècles : sur le mur du fond, bas et large, la fresque. Une lumière bleue flotte sous la voûte, et la muraille peinte n’en paraît que plus sombre et plus lointaine. Mais chacun y retrouve ce qu’il connaît déjà, et l’image la plus illustre de l’Italie. [...] Que d’autres se plaignent de n’y plus rien voir. La beauté de cette fresque est surtout qu’elle s’efface. Elle n’est point sur le mur ; elle est un rêve de l’ombre sur ma propre muraille : une tapisserie que le songe intérieur a tissée. Quand un nuage voile la lumière du jour, la Cène de Léonard n’est plus elle-même qu’un voile, tendu par le crépuscule, sur le fond de la nuit. [...] Heureuse donc, la fresque où Léonard donnait chaque jour un coup de pinceau médité pendant une semaine, heureuse de s’être sitôt évanouie et, peu à peu, de disparaître avec pudeur. La couleur, pour nous, n’en eût pas été belle ; toutes les œuvres de Léonard ont perdu à ce qu’il les achève."


https://fr.wikipedia.org/wiki/La_C%C3%A8ne_(L%C3%A9onard_de_Vinci)#/media/Fichier:The_Last_Supper_-_Leonardo_Da_Vinci_-_High_Resolution_32x16.jpg



mercredi 9 novembre 2022

Suarès (Italie)

Suarès, Le Voyage du condottiere (Vers Venise) (1910) : 

"Qu’on est loin du Nord, à Lugano ! La petite ville sur le lac est un nid de félicité. L’air est suave, doux et câlin comme la plume. L’ombre brille, elle est trempée de soleil liquide. La clarté joue autour des piliers, dans les rues à arcades. Au-dessus des chapiteaux informes, la barre d’appui est tendue, corde grossière de l’arc. Et les ruelles étroites, de coude en coude, fuient entre des maisons trop hautes ; la chaussée de granit luit comme une eau œillée d’huile au fond d’un puits. Il fait frais dans ces venelles profondes.

Sur le dos, les femmes et les jeunes garçons chargent de vastes hottes en forme de ruches renversées. Le marché en plein vent éclate des mêmes couleurs que les corsages et les jupes : le rouge et le jaune crus, le vert et le caca d’oie. Les fruits sont trop gros, et d’une senteur si lourde qu’ils ont un goût de musc : les raisins en olives ont la taille des mirabelles ; et sous la peau noire, la chair molle est verte comme l’algue. Les gourdes violettes des aubergines frôlent les fesses des melons. Et les pommes d’amour en tas sont si rouges, et d’un si beau feu qu’elles triomphent dans ce parterre de légumes, telles les roses parmi les fleurs."



mardi 8 novembre 2022

Goncourt (Chardin 2)

Goncourt, L'Art du XVIII° siècle, § Chardin : 

"Voyez ces deux œillets : ce n'est qu'une égrenure de blanc et de bleu, une espèce de semis d'émaillures argentées en relief ; regardez-les attentivement, d'un peu loin, et bientôt  les fleurs se lèvent de la toile ; le dessin feuillu de l'œillet, le cœur de la fleur, son ombre tendre, son chiffonnage, son déchiquetage, tout s'assemble et  s'épanouit. C'est là le miracle des choses que peint Chardin : modelées dans la masse et l'entour de leurs contours, dessinées avec leur lumière, faites pour ainsi dire de l'âme de leur couleur, elles semblent se détacher de la toile et s'animer, par je ne sais quelle merveilleuse opération d'optique entre la toile et le spectateur, dans l'espace."




https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Sim%C3%A9on_Chardin#/media/Fichier:Chardin_fraises.jpg


rappel : 

https://lelectionnaire.blogspot.com/2022/08/goncourt-chardin.html


lundi 7 novembre 2022

Céline (pauvreté)

Céline, Londres chap. 3 :

"C’était bien précaire son installation, beaucoup de rideaux et pas beaucoup de meubles, des lourds rideaux de velours bien antiques et bien poussiéreux. Des lampes à gros globes inallumables. Tout ça sentait le subterfuge et l’occasion. Je savais bien tout cela, j’avais appris toutes les fausses pompes de la misère. Un échafaud au rabais je l’aurais noté, il m’aurait fait de la peine, avant de passer la tête dedans. Elle est dure la peine qui monte des objets quand personne ne veut plus d’eux. On n’a ni défense, ni rigueur pour l’ameublement. La mort d’un ornement c’est la mort d’une âme. Un peu de grimace et de honte et c’est fini."


dimanche 6 novembre 2022

Amiel (radotage)

Amiel, Journal intime, 12 mars 1862 :

 "Quand on ne converse plus guère qu'avec soi-même, la prolixité du monologue est imminente ; le journal intime devient un peu comme ces vieilles dames qui, vivant seules, finissent par causer à leurs meubles et à leurs chats, pour maintenir leur aptitude à la parole. Il y a certaines semaines où je donne dans ce piège d'oisif solitaire et de vieillard rabâcheur. Il me semble qu'aujourd'hui, ma plume a terriblement marmotté entre ses dents de choses inutiles et connues. Le soliloque a tourné en cercle comme l'écureuil prisonnier."