Cela, Le joli crime du carabinier (barrière, gradins, et promenoir) trad. C. Bourguignon (Souffles éd.) p. 24 :
« C’est l'heure.
Timbaliers et alguazils remplissent leur tâche. Les quadrilles font un tour de piste, et voici qu'arrive le premier taureau, Bocinero, à la robe mêlée de noir.
Mais ce n'est pas ce qui nous intéresse. Ce qui nous intéresse est tout autour de nous, à côté, au-dessus, en-dessous. Ce qui nous intéresse, ce sont ces hommes qui rugissent, ces femmes hiératiques, cet enfant qui rit, cette fillette effarouchée. Ce qui nous intéresse est en nous — nous, les trente mille spectateurs — dont le cœur bat au pouls accéléré des gradins, dont la gorge s'enroue à force de crier à l'unisson, dont la main s'agite comme toutes les mains pour demander au président de changer l'ordre des opérations, dont le mouchoir blanc sortira de la poche pour accorder la récompense en même temps que sortiront tous les mouchoirs des arènes.
Le dialogue, fragmenté, brisé en mille boules de cristal, rebondit de place en place :
- Taisez-vous !
Le matador, collé à la barrière, tente sa chance. Certains se lèvent pour mieux le voir :
- Asseyez-vous !
- Assis !
Les occupants des premières rangées font la sourde oreille. Ce sont des gens sérieux qui ne savent pas rire ; ils caressent gravement leur verre de cognac allongé d'eau gazeuse et grillent en silence une cigarette après l'autre.
Les gens assis sur les gradins crient en chœur ou rugissent en vertu de la loi curieuse qui régit la théorie des antagonismes et des antipodes. »