Chesterton, Le roman de la rime, in Le Paradoxe ambulant, trad. Reinharez p. 122-123 :
« Milton a préfacé Paradis perdu par une condamnation solennelle de la rime. Or il se peut que le meilleur vers et même le plus connu du Paradis perdu soit en vérité une glorification de la rime. "Seasons return, but not to me return" *, non seulement est un écho qui dans sa forme a toute la sonorité d'une rime, mais se trouve contenir dans son intention presque toute la philosophie de la rime. Le merveilleux mot return contient, dans le son mais aussi dans le sens, une trace du secret tout entier de la chanson. Ce n'est pas simplement que sa forme même donne un bon exemple d'une certaine qualité de l'anglais […]. C'est qu'il décrit la poésie en soi, dans un sens mécanique mais aussi moral. La chanson n'est pas uniquement une répétition, c'est un retour. Elle ne prend pas simplement plaisir, comme un bambin dans la chambre d'enfants, à voir tourner le zootrope. Elle veut tout autant retourner que faire le tour ; retourner à la chambre d'enfants où se trouvent de tels plaisirs. Ou, pour varier un tout petit peu la métaphore, elle ne se réjouit pas simplement de la rotation d'une roue sur la route, comme si c'était une roue fixée dans les airs. Ce n'est pas seulement la roue mais le chariot qui revient. Cette tangante caravane s'en va toujours vers quelque campement qu'elle a perdu et ne peut retrouver. Pas un amoureux de la poésie n'a besoin qu'on lui dise que tous les poèmes sont pleins de ce bruit de roues qui reviennent ; et aucun plus que ceux de Milton en personne. Cette vérité est manifeste, pas simplement dans le poème, mais jusque dans les deux mots du titre. Tous les poèmes pourraient être reliés dans un seul livre sous le titre Paradis perdu. Et l'unique raison d'écrire Paradis perdu est de le changer, ne fût-ce que par une magique et fugace illusion, en Paradis reconquis.
* "Ainsi avec l'année reviennent les saisons ; mais le jour ne revient pas pour moi." (John Milton, Paradis perdu, trad. Chateaubriand, Belin, 1990.)
Milton prefaced "Paradise Lost" with a ponderous condemnation of rhyme. And perhaps the finest and even the most familiar line in the whole of "Paradise Lost" is really a glorification of rhyme. "Seasons return, but not to me return/' is not only an echo that has all the ring of rhyme in its form, but it happens to contain nearly all the philosophy of rhyme in its spirit. The wonderful word "return" has, not only in its sound but in its sense, a hint of the whole secret of song. It is not merely that its very form is a fine example of a certain quality in English […], it is that it describes poetry itself, not only in a mechanical but a moral sense. Song is not only a recurrence, it is a return. It does not merely, like the child in the nursery, take pleasure in seeing the wheels go round. It also wishes to go back as well as round; to go back to the nursery where such pleasures are found. Or to vary the metaphor slightly, it does not merely rejoice in the rotation of a wheel on the road, as if it were a fixed wheel in the air. It is not only the wheel but the wagon that is returning. That labouring caravan is always travelling towards some camping-ground that it has lost and cannot find again. No lover of poetry needs to be told that all poems are full of that noise of returning wheels ; and none more than the poems of Milton himself. The whole truth is obvious, not merely in the poem, but even in the two words of the title. All poems might be bound in one book under the title of "Paradise Lost." And the only object of writing "Paradise Lost" is to turn it, if only by a magic and momentary illusion, into "Paradise Regained."